Congrès mondial contre l'homophobie et la transphobie - Robert Badinter (2009)
Avec l’adoption de la loi sur le mariage civil mardi, une nouvelle étape a été franchie en France vers l’égalité et les droits des homosexuels.
Vue du Ministère des Affaires étrangère sis 37, quai d'Orsay
trouvée ici
Même si la personnalité de Robert Badinter (né en 1928) est surtout liée à son combat pour l’abolition de la peine de mort, il s’est aussi engagé contre l’homophobie, comme nous l’avons vu mercredi.
Plus récemment, en 2009, il s’est exprimé à ce sujet lors du congrès mondial contre l'homophobie et la transphobie qui s'est déroulé au Quai d'Orsay le 15 mai 2009.
Robert Badinter lors du congrès en 2009
Quelques explications (critiques) dans cet article paru dans Têtu en mai 2009.
Rama Yade lors du même congrès en 2009
Outre une adresse parisienne, le Quai d’Orsay désigne aussi le Ministère des Affaires Etrangères. À cette époque le ministre était encore Bernard Kouchner (né en 1939), mais la personne à laquelle s’adresse l’ancien Garde des Sceaux en l’appelant madame la ministre était Rama Yade (née en 1976), alors secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme (2009-2010).
Discours de Robert Badinter contre l'homophobie by francediplotv
Transcription
Il y a des années qu’avec des amis nous combattons la pénalisation de l’homosexualité. Et derrière ces mots abstraits je voudrais rappeler ici dans cette salle ce que dans la réalité signifie la répression de l’homosexualité.
Je rappelle que cette répression dans la longue et tragique histoire de l’humanité se déroule comme un des fils rouges les plus sinistres de notre humanité.
Je rappelle que l’homosexualité a été traquée et est traquée encore dans le monde comme un crime majeur, que des homosexuels ont été pendus, écartelés, ont été massacrés, pourchassés, que des homosexuels ont payé de leur vie, de leur liberté, quoi ? une orientation sexuelle, le droit de chacun à disposer, adulte, avec un adulte consentant, de son corps.
C’est cette répression-là que nous refusons. Et puisque nous avons le privilège de parler en cette enceinte, vous avez dit, madame le Ministre que cette salle porte le nom de Victor Hugo (1802-1885), je voudrais rappeler à cette occasion de la lutte contre la répression de l’homosexualité ce que le grand Victor Hugo a dit à propos de la peine de mort. Il disait : « La peine de mort est le signe permanent et universelle de la barbarie humaine. » (15 sept. 1848) Je dis qu’il en va de même en ce qui concerne la répression de l’homosexualité. Celle ou celui qu’on pend encore aujourd’hui, qu’on flagelle encore aujourd’hui, dans tant d’États, ceux-là sont les martyrs d’une barbarie qu’il nous faut sans cesse dénoncer.
Il ne suffit pas à cet égard d’évoquer la nécessaire lutte pour supprimer la discrimination selon l’orientation sexuelle qui pose beaucoup de problèmes.
Il ne suffit pas à cet égard d’invoquer les conventions sur le respect de l’intégrité physique.
Il ne suffit pas à cet égard de rappeler que l’article premier de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme fait référence à la diginité de tout être humain. Et que reste-t-il de la dignité des êtres humains quand ils sont pourchassés, emprisonnés, flagellés, et ou pendus pour la simple raison qu’ils ont une orientation sexuelle différente de celle de la majorité ou du dogme. Le mot de barbarie doit retrouver ici son sens.
Il y a encore sept États dans le monde où l’homosexualité est passible de la peine de mort.
Il y a trente États dans le monde où l’on punit l’homosexualité de peines supérieures à dix années d’emprisonnement.
Il y a plus de quarante États dans le monde où les homosexuels encourent une peine d’emprisonnement ou de châtiment corporel.
Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas tolérer un pareil outrage à l’humanité au-delà de la personne de ceux qui en sont ainsi les victimes.
C’est une question fondamentale de principe que celle de la dépénalisation de l’homosexualité.
Nous avons combattu longtemps, très longtemps, les uns et les autres, contre les régimes qui faisaient, de la torture ou de la peine de mort, leur pratique ordinaire.
Pourquoi la même indignation ne soulèverait pas les consciences quand il s’agit de ces traitements barbares et inhumains ou de ces atteintes majeures à la vie humaine que représente la pénalisation de l’homophobie ?
À chaque fois que j’apprends que l’on a pendu ici ou flagellé là, flagellé jusqu’à la mort, il faut le dire, tel ou tel homme pour crime d’homosexualité, je souhaiterais une protestation universelle contre une pareille exaction.
La négation des droits de l’Homme, elle s’inscrit aussi et au premier chef dans la pénalisation de l’homosexualité.
Elle disparaîtra, cette pénalisation, exactement comme nous voyons reculer lentement, trop lentement, mais irrésistiblement la peine de mort.
Elle disparaîtra, la pénalisation de l’homosexualité, comme cela s’est vu dans tant d’États qui ont jugé et condamné parfois à mort, après tout, dans l’Angleterre victorienne on pendait encore les marins de la Royal Navy coupables d’homosexualité. Et il n’y a pas si longtemps, c’était dans ma jeunesse, on condamnait encore ceux qui pratiquaient « le délit d’homosexualité ».
Cette marche, cette marche qui est nécessaire, vers la dépénalisation de l’homosexualité, il vous appartient à vous qui luttez pour les Droits de l’Homme de faire en sorte que ce ne soit pas une référence reprise dans les congrès mais la flamme vivante d’un combat pour sauver des êtres humains et pour toute la dignité humaine.
C’est là l’enjeu de ces journées.
Tout à l’heure il y aura des ateliers. Nous y participerons. On verra les meilleurs moyens de lutter par le Droit contre ces répressions inhumaines et dégradantes.
En terminant, je voudrais simplement, puisque je suis en présence de représentants d’État que je remercie d’être venus ici, rappeler que, heureusement, un certain nombre de Démocraties ont pris à cœur de reconnaître à ceux qui sont amenés à quitter leur pays face à l’abjecte répression contre l’homosexualité que j’évoquais tout à l’heure, ces États ont reconnu à ces hommes ou à ces femmes la qualité de réfugié, leur ont reconnu le droit d’asile.
Lorsque vous vous pencherez sur les meilleurs moyens de faire face à la barbare répression de l’homosexualité, n’oubliez pas cette reconnaissance des homosexuels fuyant leurs pays pour échapper aux persécutions comme étant à la fois un cri de la conscience et un abri justement offert à ceux qui s’inscrivent dans la longue, longue lignée des martyrs de la répression de l’homosexualité.
Merci.