OCLC/Miscellanées (3) - La thèse sur rien (1997), Les chevaliers-paysans du lac de Paladru - Pyxeos, avec Éric Verdel (2012)
Si nous avons évoqué les chansons de la bande-annonce du film, les chansons du film et les chansons d'un sketch de Jamel, nous n'en avons pas fini pour autant avec les motifs du film d'Alain Resnais. Pendant encore quelques jours, nous allons évoquer quelques détails, quelques aspects du film.
Le personnage de Camille Lalande (interprété par Agnès Jaoui) travaille sur une thèse dont elle n’aime pas beaucoup parler, résignée à ce que personne de son entourage ne s’intéresse à ce qui occupe ses recherches.
Mise en ligne le 19 novembre 2008 par Comounhacha
Transcription
Odile Lalande – Ça va ?
Camille Lalande – Très bien.
Nicolas – Bonjour.
Camille – Bonjour.
Nicolas – Bon, je vais pas tarder, moi.
Odile – La surdouée de la famille.
Camille – Oh non, dis, arrête.
Odile – Mais je plaisante. Et puis quoi, c’est un peu vrai : t’es la surdouée de la famille. Je suis très fière de ma petite sœur, moi, j’ai le droit, non ?! Je t’ai dit qu’elle soutenait sa thèse le 28 ? Je te l’ai dit, non ?
Nicolas – Et euh… une thèse… sur quoi ?
Camille – Sur… sur rien.
Nicolas – Ah ben c’est bien, ça prend pas beaucoup de temps, ça.
Odile – Mais non, c’est les chevaliers de l’an mil du lac des paysans.
Camille – Oh dis, c’est pas du tout ça.
Odile – C’est pas du tout ça ?
Camille – Non.
Odile – Bon, alors vas-y, c’est quoi :
Camille – Les chevaliers-paysans de l’an mil du lac de Paladru.
Odile – Qu’est-ce que j’ai, j’ai pas dit ça ?
Camille – Non.
Nicolas – Au lac de … ?
Camille – Paladru !
Nicolas – Mais… excuse-moi, mais il y a des gens que ça intéresse, ce… ?
Camille – Non, personne.
Nicolas – Mais pourquoi tu as choisi ce sujet alors ?
Camille – Pour faire parler les cons.
Odile – Oh, Camille !
Nicolas – Tu sais, moi, je te demandais ça, c’est plus une formalité qu’autre chose, hein.
Camille – C’est bien ce que j’avais compris.
Nicolas – Et puis à part ça, il faut être un peu indulgent avec les cons.
Camille – Je fais ce que je peux.
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Eh bien nous, nous allons quand même nous intéresser à ce sujet bien connu des étudiants en histoire.
(photo trouvée ici)
Il faut d’abord situer le lac de Paladru : il se trouve à Charavines (38), non loin de Grenoble (38), donc des Alpes dans le département de l’Isère.
(voir ici l'image plus grande)
On doit aux archéologues Michel Colardelle et Éric Verdel l’essentiel des recherches liées à ce lac. Le personnage de Camille Lalande est donc normalement familière de leurs travaux.
(Livre que Camille connaît certainement par cœur)
Les informations contenues dans le petit documentaire (6 minutes 30, réalisé par la société Pyxeos) sur les méthodes de recherches n’auront aucun secret pour cette étudiante.
L'habitat immergé des chevaliers-paysans de l'an mil (Charavines, Isère) from Pyxeos on Vimeo.
Transcription
Commentaire – Le site archéologique de Colletière se situe dans les eaux du lac de Paladru sur la commune de Charavine. Son existence est connue dès les années 1910-1915. Autour de l’an mil, le lac de Paladru se trouve à la frontière de trois principautés episcopales :
- l’Évêché de Grenoble (38),
- l’Archevêché de Vienne (38),
- et l’Évêché de Belley (01).
Le site de Colletière est fondé en même temps que deux autres sites d’habitat, datés eux aussi du tout début du onzième siècle. Sur la rive droite du lac de Paladru se trouve le site d’Ars, et à l’autre extrémité du lac le site des Grands Roseaux.
Dans les années 1910-1915, c’est le fondateur du musée dauphinois de Grenoble, Hippolyte Müller (1865-1933), qui découvre le site de Colletière. Pour autant, il n’identifie pas les vestiges comme ceux d’un habitat médiéval et il faudra attendre les années 1970 et le début des fouilles archéologique pour ça. L’originalité et la spécificité de ce site réside dans l’extraordinaire fraîcheur des éléments archéologiques conservés sous l’eau et à l’abri de la lumière pendant près de mille ans. Ainsi les matières organiques généralement inexistentes ou retrouvées très dégradées sur les sites terrestres ont été conservées. Laissons à l’archéologue en charge de la fouille, Éric Verdel, le soin de nous présenter le site tel qu’il était en l’an mil.
Éric Verdel, archéologue – Service du patrimoine culturel – Conseil Général de l’Isère – Entouré par le lac sur trois côtés, mais séparé de la terre derme par une zone marécageuse. Dans cet espace naturellement défensif, il est possible de construire un grand habitat qui fait 40 mètres de long, 25 mètres de large, protégées par une palissade défensive, haute de 4 à 5 mètres, et à l’intérieur de cette palissade, on a trois grands bâtiments pour une population que l’on peut estimer à 50 ou 60 personnes en comptant les femmes et les enfants. Un grand bâtiment central, qui fait environ cent mètres carré au sol, précédé d’une écurie, ce bâtiment a au moins deux étages, sinon trois, et il est occupé par ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les Chevaliers paysans de l’an mil.
photo issue du site du Musée archéologique du lac de Paladru
(à visiter pour une meilleure compréhension des enjeux de ces recherches)
Commentaire – Dans les conditions un peu particulières d’une fouille subaquatique, les archéologues ont pu mettre au jour de nombreux indices qui révèlent la présence de plusieurs activités artisanales. Il apparaît que la population du site fabrique elle-même tous les outils et les objets de la vie quotidienne. Cela implique :
- la confection de textile pour les vêtements ;
- l’artisanat du cuir, confection de chaussures, de ceintures, d’accessoires équestre ;
- le travail du bois pour des pièces d’équitation, des plats en bois tourné et des cuillères, des peignes pour les chevelures, des instruments de musique, des pièces de jeu d’échec ;
- les petits objets de parure, le plus souvent en étain, ou encore la métallurgie dont la spécialité du site est la coutellerie. Les fouilles ont mis au jour entre 400 et 500 couteaux.
Cette importante production dépasse largement les besoins de la population, et montre que les habitants devaient en faire un commerce. Les objets découverts sur le site ne sont pas les seuls éléments à nous renseigner sur la vie de l’époque. Chaque année, lors des fouilles, de nombreux prélèvements de sédiments ou carottages sont effectués. Mais quelle est leur utilité et que nous apprennent-ils ?
Éric Verdel – Si on enfonce un tube à travers les couches archéologiques, le sédimentologue est ensuite en mesure par les indices visuels et grâce aux paramètres physico-chimiques de reconstituer les fonctions des zones de l’habitat d’où sont extraites les carottes. On arrive à reconstituer environ deux millénaires d’histoire du lac, de mille avant à mille après et on reconstitue les fluctuations des niveaux lacustres parce qu’on s’aperçoit que, globalement, que ce soit au néolithique, que ce soit à l’époque romaine, ou que ce soit à l’an mil, l’occupation des rives correspond toujours à une amélioration du climat, même temporaire et à une régression du niveau lacustre.
Commentaire – Si aux alentours de l’an mil, la baisse du niveau de l’eau libère les rives et permet aux hommes de s’y installer, à partir des années 1020, le niveau du lac commence à remonter. Cette hausse du niveau des eaux noie une partie du site de Colletière. Les archéologues pensent que la partie basse du site devait être inondée au moins de façon saisonnière. Le phénomène de montée progressive des niveaux lacustres se poursuit dans les années 1030. Les lieux ne sont alors plus habitables. Les chevaliers paysans démontent les bâtiments, récupèrent l’essentiel des matériaux d’architecture ainsi qu’une partie du matériel accumulé en trois décennies et partent s’installer ailleurs. La remontée du lac se poursuit au fil du temps et le site ne sera plus jamais occupé par la suite. Grâce à l’eau et aux sédiments du lac, les vestiges du site de Colletière ont été préservés des ravages du temps. Ils nous offrent aujourd’hui un témoignage riche et unique de la vie de ces chevaliers paysans de l’an mil.