Toute la mémoire du monde - Alain Resnais (1956)
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire d’Alain Resnais (né en 1922) monteur, réalisateur et inventeur de formes.
La liste de ses films les plus souvent cités inclut ses premiers longs-métrages (Hiroshima, mon amour, en 1959 et l’Année Dernière à Marienbad en 1961). Son dernier film en date est Vous n’avez encore rien vu, 2012.
Avant de réaliser ces longs-métrages, il s’est illustré dans la réalisation de documentaires dont certains ont été réunis dans un dvd qui accompagne Hiroshima mon Amour dans un coffret disponible à l’Institut Français de Belgrade.
Jaquette du DVD disponible à l'IFS de Belgrade.
Nous avons revu aujourd’hui Toute la mémoire du monde, un documentaire sur la BnF (Bibliothèque Nationale de France) datant de 1956.
Même si elle se pose aussi en d'autres termes avec le numérique, la question de l'archivage des livres reste évidemment d'actualité.
À l’époque, le site de la Bibliothèque François-Mitterrand (dans le 13ème arrondissement, ci-dessous en B), ouverte en 1996, n’existait pas encore. Le documentaire se concentre sur le site Richelieu-Louvois, beaucoup plus ancien et qui se situe, lui, dans le 2ème arrondissement (ci-dessous en A).
Avant de regarder le film, il convient de citer les noms prestigieux qui compose son générique. Outre Alain Resnais, on notera la présence de Maurice Jarre, compositeur, et Georges Delerue, ici jeune directeur d'orchestre. Les noms d'Agnès Varda et Chris Marker apparaissent discrètement en tant que collaborateurs (ainsi que ceux de Chester Gould et Lee Falk !).
toda la memoria del mundo from kid limbo on Vimeo.
Transcription (et intertitres)
Les réalisateurs tiennent à exprimer leur
gratitude à la Bibliothèque Nationale,
à son administrateur général,
Monsieur Juilien Cain,
à ses conservateurs en chef
et à son personnel tout entier :
bibliothécaires, assistants, magasiniers,
garidens, ouvriers, pour les larges
facilités qui leur ont été accordées
pendant les prises de vues de ce film.
Parce que leur mémoire est courte, les hommes accumulent d’inombrables pense-bête.
2’40 - Devant ces soutes pleines à craquer, les hommes prennent peur, peur d’être submergé par cette multitude d’écrits, par cet amas de mots. Alors pour garantir leur liberté, ils construisent des forteresses.
3’52
4’25 - À Paris, c’est à la bibliothèque nationale que les mots sont emprisonnés. On y trouve tout ce qui s’imprime en France. Tous les signes que la main de l’homme a tracés sont représentés dans les plus riches de ces départements : celui des manuscrits.
Un spectacle toujours changeant se déroule dans la salle du département des périodiques. on y consultent la plupart des journaux du monde.
Au cabinet des estampes sont conservées toutes les images, qu’elles soient gravées, lithographiées ou même photographiées. C’est un musée.
Musée aussi, le cabinet des médailles. C’est Louis XIV qui, le premier, y rassembla des trésors.
Les étoiles, les satellites, les météores, les capitales et leurs banlieues sont à notre portée aux départements des cartes et des plans.
Édifiées en un temps où on imprimait peu la Bibliothèque Nationale s’enrichit maintenant de quelques trois millions de volumes par siècle. pour éviter l’éclatement, perpétuellement elles s’enfoncent plus avant dans le sol, elles s’élèvent plus haut dans le ciel.
Département des imprimés / Salle de travail
Cabinet des estampes
Médailles et Antiques
La salle des périodiques
Cartes et plans
Manuscrits
Pour que le recours à cette gigantesque mémoire soit possible, ceux qui ont charge du trésors qu’elle recèle les dénombrent. Ils les trient, les analysent, les classent, les numérotent, méthodiquement. Il a fallu des siècles pour inventorier les six millions de livres, les cinq millions d’estampes conservés dans la Nationale. Travail indspensable car sans catalogue, cette forteresse ne serait qu’un pays sans nom.
Il a fallu concevoir des disciplines qui avec le temps se sont muées en loi.
Pour inventorier la masse de nos connaissances, il a fallu recourir aux mots clés.
Avec le temps est né le grand catalogue des imprimés dont le propre est d’être toujours en chantier.
Une mémoire exemplaire, la Nationale emmagasine tout ce qui s’imprime en France.
Un seul département, celui des périodiques, doit digérer chaque jour deux cents kilos de papier, de journaux, de revues, de magazines, de bulletins, d’annuaires et d’almanachs.
Dépareillée, une collection perd sa valeur. C’est pourquoi on s’interdit ici la moindre faute d’inattention. Si un numéro manque il sera réclamé. Même si certains de ces imprimés ne devait être imprimé qu’une seule fois, il faut les conserver. C’est la règle du jeu.
Parmi ces collections fut découvert le premier écrit de Rimbaud publié par un obscur journal des Ardennes. Qui sait si ces feuilles ne recèlent pas quelque autre texte révélateur ? Qui sait ce qui demain témoignera le plus sûrement de notre civilisation ?
9’
Mandrake et Dick Tracy (trouvés ici)
9'10 - Il y a quatre sources d’enrichissement pour la bibliothèque nationale : les dons, les achats, les échanges, et, la principal, le dépôt légal.
Trouvé ici
Institué au XVIème siècle, il oblige lecteurs et imprimeurs à livrer à la Nationale plusieurs exemplaires de chaque ouvrage publié.
9’46 - Pour indiquer qu’un volume est entré à la Bibliothèque Nationale, que plus jamais il n’en pourra sortir, on l’estampille.
L’ouvrage déposé est d’abord recensé dans le fichier où figurent tousles éditeurs de France.
Puis il est inscrit sur le registre des entrées.
Sa fiche signalétique est établie sommairement.
Après quoi, prisonnier, il attend que vienne le jour du placement.
Une fois par semaine les livres sont soumis à un tri pour être réparti dans les différentes sections du service des catalogues. Certains comme celui-ci sont inscrit sur un fichier de collection. On situe le livre. On détermine à quelle science il se rattache. On l’identifie. On l’indexe. Électroniquement, on diffuse son signalement. Vingt fiches le décrivant sont intercalées dans différents classeurs parmi des millions d’autres fiches qui font de cette salles des catalogues le cerveau de la Bibliothèque Nationale
Rondé [?], ce livre n’échappera à aucune recherche Une lettre, des chiffres désignent la tablette qu’il occupera dans un des magasins Catalogué, le livre va rejoindre le point précis qui lui est imparti, dans le dédale d’un rayonnage long de cent kilomètres.
13’
Trouvée ici
Voici le livre dans son décor. Bientôt, cet antique grenier disparaîtra. En effet, depuis vingt ans, les métamorphoses successives tendent à faire de la Nationale la bibliothèque la plus moderne du monde.
Citadelle silencieuse la Bibliothèque Nationale recèle d’inombrables trésors. Beaucoup mériterait qu’on s’y arrête mais cent films alors n’y suffiraient pas. Car qui peut dire ce qui est ici le plus précieux, le plus beau, le plus rare ?
Serait-ce le manuscrit encore inédit du journal des Goncourt ?
Le Codex Peresianus que personne ne sait plus déchiffrer ?
Ces mémoires d’Harry Dickson aujourd’hui introuvables ?
Ces carnets intimes qui ne seront ouverts qu’en 1974 ?
Le manuscrit des Pensées de Pascal ?
L’ensemble des écrits d’Émile Zola ?
Le caillou de Bagdad et les joyaux qui l’entourent ?
L’album de croquis de Villard de Honnecourt ?
Ou bien encore, ce médailler royal ?
Ces manuscrits géants de Victor Hugo ?
La Mappemonde de Cabot ?
Cette reliure aux armes d’Henri II ?
Ce livre, le premier imprimé à Paris, l’évangéliaire de Charlemagne ?
L’Apocalypse de Saint-Sévère ?
De Mantegna ?
De Dürer ?
De Redon ?
Ces richesses, ilnous faut les préserver.
C’est pourquoi l’air est contrôlé, l’atmosphère corrigé. Des machineries pareilles à celles du capitaine Nemo maintient une température constante favorable au papier, au cuir, au parchemin.
De jour et de nuit, les contrôles se succèdent. Coûte que coûte, il faut faire échec à la destruction.
Un onguent savant préserve les reliures.
On restaure les écrits des civilisations disparues.
Les trous d’insectes sont obturés.
Les feuilles éparses encollées.
On vaccine les livres.
On les gaine.
Un rempart de plastique isole les cartes et les plans.
Pour les préserver de l’usure, on range les portefeuilles sur des rouleaux mobiles.
Quant aux journaux dont le papier de bois se détrui lui-même, on les microfilmera. Captés, ces images préserveront la mémoire des documents périssables.
Et tandis que se poursuit cette lente bataille contre la mort, des appels sont lancés. Sans cesse, des messages fusent à travers les labyrinthes de ces magasins.
17’ - Le livre trouvé, une fiche prend sa place. C’est son fantôme.
18’30 - Un dernier contrôle,une dernière vérification de l’identité du livre et de son bulletin.
19’10 - Et voici le livre en marche vers une ligne idéale, un équateur plus décisif pour son existence que la traversée du miroir.
Ce n’est plus le même livre.
À l’instant il faisait partie d’une mémoire universelle, abstraite, indifférente, où tous les livres étaient égaux entre eux où ils bénéficiaitent ensemble d’une attention aussi tendrement glacée que celle de Dieu pour les hommes. Et le voici choisi, préféré, indispensable à son lecteur, arraché à sa galaxie pour nourrir ses faux insectes croqueur de papier irrémédiablement différents des insectes en ceci qu’ils sont attelé chacun à une besogne distincte.
Image trouvée sur cette page
qui questionne aujourd'hui les thèmes de ce films
Astrophysique, physiologie, théologie, systématique, philologie, cosmologie, mécanique, logique, poétique, technologie
Ici se préfigure un temps où toutes les énigmes seront résolues,un temps où ces univers et quelques autres nous livreront leur clé. Et cela simplement parce que ces lecteurs assis devant leur morceau de mémoire universelle auront mis bout à bout les fragments d’un même secret qui a peut-être un très beau nom, qui s’appelle le bonheur.
Oui, Alain Resnais est aussi l'auteur d'On connaît la chanson.