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18 juin 2013

La Quinzaine Littéraire, Mille numéros (2/2) - Maurice Nadeau (2009)

L’entretien ci-dessous a été réalisé par Sylvain Bourmeau pour Médiapart, site d’informations payant, à l’occasion de la parution du millième numéro de la revue de Maurice Nadeau. La première partie se trouve transcrite ici.

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Numéro 1000 de la Quinzaine Littéraire paru le 1er octobre 2009
La couverture est de Jacques Monory

Dans cet entretien en deux parties beaucoup de nom sont cités. Ils reflètent le bouillonnement culturel de la seconde moitié du XXème siècle en France.

- Outre la Quinzaine Littéraire, on notera le nom de quelques revues : Combat, La Vérité...
- On notera le nom de quelques éditeurs : Minuit, José Corti, Gallimard, Actes Sud
- On notera l’importance médiatique des écrivains dits du Nouveau Roman : Nathalie Sarraute, Samuel Beckett, Michel Butor

La Quinzaine Littéraire Mille numéros (2/2) 


Entretien avec Maurice Nadeau 2. Littérature by Mediapart

 

Transcription

J’avais l’exemple, j’avais travaillé à Combat pendant sept ans aussi, j’avais l’exemple de Pascal Pia qui en était le directeur qui s’est refusé à publier jamais le moindre article dans son journal. Il laissait faire Camus, il laissait faire Albert Olivier, il laissait faire les autres. Et j’avais ça un peu comme principe : « Moi, je dirige, mais je n’écris pas. » Je n’écris pas non pas par modestie mais parce que je pense que c’est la parole que je donne aux autres plutôt que la mienne que je prends, voilà. Et puis il m’est apparu que j’avais quand même de temps en temps quelque chose à dire et je me suis laissé aller à publier ce jour-là en public, et comment dire, effort qui n’est pas tout-à-fait périodique. Enfin il vient quand j’ai quelque chose à dire. C’est tout.

 

Une tendance de la littérature

 

Je m’intéresse toujours à ce qui paraît et je me précipite même sur les livres quand ils arrivent. Mais en effet je trouve que le roman tel que je le concevais, c’était une vieille conception, était fait pour parler de soi à travers les autres et non pas d’une façon nombriliste. Alors je vois les gens qui s’occupent à parler d’eux-même, de leur jeunesse, de leurs amours, bon c’est intéressant, de leur famille, des scènes de famille, etc. Tout ça m’ennuie. En réalité, je ne dis pas que c’est sans intérêt. Mais personnellement, tout ça m’ennuie. J’ai toujours rêvé au monde en général, et ce qui se passe, la société, les gens en général, ce qu’ils pensent, ce qu’ils veulent, enfin une ouverture sur le social. Bon, il y a les intimistes aussi que je ne méprise pas mais enfin ça serait plutôt dans le genre philosophique ou le genre [Georg Christoph] Lichtenberg[1], il faudrait qu’il y ait des aphorismes, des gens qui voient le monde à travers leur prisme, enfin, les grands écrivains en général. C’est-à-dire que chacun a une histoire à raconter. Je le vois par les gens … que je reçois qui sont en général, qui peuvent être publiés ailleurs, je les envoie ailleurs, d’ailleurs, qui ne m’intéressent pas moi à partir du moment où on s’intéresse trop à soi et en se mettant égocentriquement en valeur. Parce qu’au fond, pour moi l’auteur, je suis resté un vieux disciple très loin, admirateur de Flaubert. Pas d’intrusion de soi et on apparaît à travers malgré soi dans le roman. Si on fait un roman, c’est pas sur soi, c’est sur les autres. C’est une idée comme ça. C’est pas une idée qui est neuve. Mais enfin à partir du moment où Flaubert avait opéré cette révolution, ben c’était une révolution qui était encore à l’époque, il était le contemporain de Stendhal qui est tout à fait l’opposé par exemple. Le roman a changé, est devenu le roman du XXème siècle, du XIXème et puis du XXème et il continue comme ça.

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Alors ce qui me semble, maintenant, enfin je dis ça, je suis mal placé parce queje suis dedans, quand on est dans le truc soi-même, on voit mal, on verra ça plus tard. Mais je vois par exemple, j’ai suivi l’épopée du nouveau roman, je les ai publié, quand ils étaient publiés par Minuit, ils n’avaient pas besoin de moi, mais enfin en tant que revue ils y ont tous passé. C’était une ouverture sur le roman qui devait se faire autrement, ça me plaisait bien à l’époque. Bon ça s’est arrêté et ça a donné ses fruits, et puis maintenant, c’est fini. C’est devenu une mode qui a été utilisée, imitée à l’étranger mais ensuite qui en France n’a plus rien donné parce que ça repose toujours sur des individualités. Sarraute, c’était pas Beckett, c’était pas Butor, c’était… chacun avait son monde à lui et sa façon de l’exprimer.

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Je suis en général admiratif, c’est curieux, ça… peu critique, peu satirique aussi, enfin… Ma dernière lecture, c’était une vieille lecture, c’était Lichtenberg, que je connaissais mal, je le connaissais à travers ce qu’avait publié Marthe Robert autrefois. Ça me séduisait beaucoup. Bon, Corti publie le Miroir de l’âme, y a déjà un moment, c’était en 97, je le lis maintenant, je dis c’est formidable ! Pouquoi la Quinzaine n’a pas parlé de ce bouquin ? » Alors j’ai passé mes vacances à lire les mille pages de ce Lichtenberg et ça m’a profondément intéressé. Alors c’est pas tout à fait neuf, hein.

Actualité littéraire

 

Parmi les nouveaux, non…
J’ai lu Marie N’Diaye que je trouve un auteur qui compte, et son roman m’a beaucoup intéressé. Je ne peux pas dire que j’en ai lu beaucoup d’autres, enfin.
J’ai lu un petit gars qui s’appelle Tony Garcia chez Gallimard, je vois que personne n’en a parlé. Je me dis « Tiens c’est bizarre. » Il raconte sa jeunesse à travers un milieu qui était celui des années 68. Je dis : « Tiens ce serait intéressant car c’est un milieu, c’est une époque. » Ça n’a intéressé personne et je vois qu’à la Quinzaine, ça n’intéresse personne non plus. Alors bon c’est comme ça, je reste avec mon amour trompé, là…
Bon, à part ça, je lis… qu’est-ce que j’ai lu ?
Ben, il y a Alberto Manguel, qui est un homme qui m’intéresse beaucoup qui est publié par Actes Sud.
Il y a un type qui s’appelle [W.G.] Sebald, qui n’est plus, il est mort il y a deux ans ou trois ans [en 2001], en voiture. Sebald m’a passionné parce que c’est une façon aussi de voir la vie. C’était ni le roman, ni le document, c’était à la fois tout ça, plus des photos, introduire des photos dans un roman c’est quelque chose qui est récent, nouveau, enfin peut-être ça s’est fait autrefois, mais enfin une façon de voir la vie qui est différente de celui qui se met devant sa page blanche aussi que j’admire également, enfin, c’est pas la même chose. Mais enfin c’était une façon de voir la vie, Sebald par exemple, qui me séduit. Ou Manguel, c’est un homme plein de lectures qui raconte le contenu de sa bibliothèque, vous me direz que c’est pas la vie, mais si on saperçoit que les livres, c’est la vie. C’est exactement par les livres qu’elle passe. Enfin pour moi, hein. C’est des vues courtes, peut-être, mais enfin c’est comme ça.

 

Engagement politique aujourd’hui et hier

 

Je n’ai plus le droit de me dire ce que j’étais encore il y a vingt ans ou il y a trente ans ou quarante ans parce que j’étais un militant, c’était tout-à-fait autre chose. C’est-à-dire que j’avais voué ma vie…, enfin j’avais des intérêts littéraire et tout ce qu’on voudra. Enfin, ça ne m’empêchait pas d’aimer le reste. Mais enfin ma vie était vouée à une certaine conception de la société, du monde, de l’individu, etc. Bon tout ça est devenu très obsolète. C’est devenu… c’est autre chose, c’est dans les oubliettes.
Alors je n’ai plus le droit de me présenter comme tel parce que moi, ça consistait à coller des affiches, à faire des meetings, à vendre le journal à la criée, ce que je ne peux plus faire pour toute sorte de raisons, et non seulement l’âge.

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Premier numéro de la Vérité (15 août 1929),
journal Trotskiste que Maurice Nadeau a vendu à la criée

Cliquer dessus pour le lire

De sorte que je regarde ça d’un peu de Sirius, c’est-à-dire je vois évidemment le pouvoir tel qu’il est, me répugne, me répugne tel qu’il est exercé actuellement. Ben ça a été une chose à ne pas dire mais parce que c’est… enfin bon, bref… C’est une critique en forme qu’il faudrait faire du régime, du libéralisme, du capitalisme, etc. Bon, je ne suis pas compétent pour le faire, c’est simplement des sentiments, des impressions, des… c’est tout hein. De sorte que je me considère toujours comme un homme de gauche dans la mesure où la gauche existe. Pour moi, elle n’est pas personnalisée par les socialistes, loin de là.
Mais il y a quand même une façon de croire encore à une possibilité d’améliorer l’humanité. Bon c’est peut-être une idée fausse, peut-être une idée vieille comme le monde, mais enfin j’ai l’impression que c’est ça. C’est-à-dire : ce n’est pas le repli sur la méditation et autres histoires asiatiques, c’est plutôt la participation à la vie du monde, enfin qui s’exprime aussi dans la littérature, les arts, la philosophie, etc. Ce sont des formes d’expression qui me sont, comment dire, visibles, possibles, enfin qui m’intéressent. La politique pure ne m’intéresse pas. Je sais pas si j’irais voter, j’ai voté un peu par faiblesse puis je me rends compte que c’est pire, que j’ai perdu mon temps, enfin peut importe qu’on perde son temps, mais en fait que j’ai donné mon aval à des politiques qui me répugnent. Voilà. Donc je m’abstiens. C’est pas de l’anarchisme. C’est pas ça. L’anarchie, ça devient de l’individualisme, c’est pas du tout mon cas, au contraire. Mais je crois encore à de vieilles idées. C’est pas neuf, hein.

 



[1] né à Ober-Ramstadt le 1er juillet 1742 et mort à Göttingen le 24 février 1799, est un philosophe, écrivain et physicien allemand, auteur notamment d’aphorismes.

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