L'Institut Français de Serbie communique ceci :
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Dans le cadre du cycle « Penser la guerre »
Jeudi 6 mars - 19h à Belgrade
Dom omladine, salle Amerikana, Makedonska 22
vendredi 7 mars - 11h à Novi Sad
Faculté de Philosophie, Kino Sala, Zorana Djindjica, 2
Jean-Noël Jeanneney
universitaire, historien de la politique, de la culture et des médias
Stanislav Sretenović
chercheur à l’Institut national d’histoire contemporaine de Belgrade (modérateur)
Premier invité de notre cycle de conférences « Penser la guerre », Jean-Noël Jeanneney est professeur à l'Institut d'études politiques, il a dirigé Radio-France et Radio-France Internationale et présidé la Mission du Bicentenaire de la Révolution. Il a été secrétaire d'Etat au Commerce extérieur puis à la Communication et président de la Bibliothèque nationale de France. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire contemporaine.
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Ancien président de la mission du bicentenaire de la Révolution Française, Jean-Noël Jeanneney (né en 1942) semble bien placé pour traiter les questions de commémoration. Celle de la première guerre mondiale à fait l'objet d'un livre intitulé "La Grande Guerre si loin, si proche" et soustitré "Réflexions sur un centenaire". L'ouvrage est paru au Seuil en 2013.
Dans une vidéo filmée et mise en ligne par la Librairie Mollat, sise à Bordeaux (33), Jean-Noël Jeanneney présente son livre.
Il s'explique sur ce qu'il pense de la commémoration et livre quelques événements historiques.
Cette vidéo peut constituer une introduction à ces deux soirées et vous inspirer quelques questions*.
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Il fait référence à quelques époques que nous mentionnons en ouverture, car il constituent des repères.
- 24 août 1572 – Massacre de la Saint-Barthélémy
- 1914/1918 – La Première Guerre Mondiale
- 1919 – Échec de tentatives pour une union européenne
- 1940 – Défaite de la France face à l’Allemagne
- 1950 – Nouveau départ de l'idée d'une union européenne et premiers succès,
- 1964 – Célébration du cinquantenaire de la première guerre mondiale.
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Publiée le 16 décembre 2013 par Librairie Mollat
Transcription
Je crois qu'il faut commémorer la Grande Guerre, la guerre de 1914-1918, et cela pour plusieurs motifs.
D'abord parce que toute collectivité nationale se doit d'exprimer dans des dates symboliques telles que celles-ci sa gratitude à l'égard de ceux qui se sont battus pour la patrie. Vous savez, ça n'est pas un mot désuet, la Patrie. Le nationalisme, sûrement pas, la Patrie, pourquoi pas. Donc, chacune des familles de France a parmi ses ancêtres des hommes qui se sont battus, des femmes qui ont tenu bon, et je crois qu'il fallait le rappeler.
Et puis un centenaire, c'est aussi le moment de réfléchir aux leçons d'un événement tel que celui-ci. Pourquoi la guerre s'est déclenchée ? Parler de la guerre, c’est parler de la paix. Aurait-on pu et pourrait-on demain préserver autrement la paix ?
C’est réfléchir aussi à des questions aussi graves que celles des relations entre régime politique et un grand conflit mondial. Beaucoup avaient prédit, notamment l’extrême droite, qu’on ne pourrait pas… que la République ne serait pas capable de tenir bon dans une telle circonstance. Elle a tenu. C’est une occasion de réfléchir aux relations entre l’Armée et la Nation. Ces poilus ont toujours voulu être non pas des soldats militarisés mais des citoyens sous les armes, ce qui change tout.
C’est une occasion de réfléchir aussi, bien sûr, peut-être de façon centrale, à la construction de l’Europe. Comment a-t-on pu dépasser l’opposition entre les « Gaulois » et les « Germains » (comme on l’enseignait dans les manuels de classe avant 1914) ? Comment a-t-on pu réconcilier la France et l’Allemagne ? Comment peut-on faire fructifier, au profit de la paix, au profit de l’Union Européenne, aujourd’hui et demain, cet héritage-là par nos différences ?
Tout cela me paraît mériter largement que l’on s’y penche.
Naturellement, il ne s’agit pas de célébrer la grande Guerre, ce serait absurde. On ne célèbre pas la Saint-Barthélémy. On ne célèbre pas les horreurs, les cataclysmes, les drames collectifs, mais de commémorer. Oui, il le faut.
Photo trouvée ici.
Chaque commémoration s’installe, s’invente, surgit à la rencontre de l’événement qu’on commémore et de la conjoncture où survient précisément, où surviennent ces cérémonies. Et en l’occurrence, nous sommes dans une situation différente de celle de 1964 quand De Gaulle avait évoqué le début de ce conflit. Il y avait encore à l’époque beaucoup de combattants survivants, il n’y en a plus aujourd’hui, donc la distance est plus grande, et cela évidemment est d’importance.
L’Europe est probablement plus menacée aujourd’hui du point de vue de nos concitoyens. Elle a perdu une part de son évidente nécessité précisément parce qu’on s’est éloigné, je crois, des conflits sanglants. Donc il n’est pas mauvais de rappeler que la paix est toujours extraordinairement fragile et que cet effort sans pareil dans l’humanité de rassembler des nations de notre vieux continent librement avec entre elles une véritable égalité pour l’essentiel dans le fonctionnement de la machine, tout cela doit être rappelé dans toute sa vertu.
Vous savez, pourquoi est-ce que ça a raté en 1919 ? Pourquoi on n’a pas réussi à faire l’Europe ? Beaucoup y ont songé, des gens très très éminents. Eh bien parce que l’Allemagne considérait qu’elle n’était pas vaincue. Elle n’était pas vaincue puisqu’elle n’avait pas eu la guerre sur son territoire. C’est la légende du coup de poignard dans le dos. Et du côté français, on était tellement victorieux après tellement de sang versé, tellement de douleur, qu’on n’était pas prêts vraiment à faire une conciliation avec celui qui était encore l’ennemi de l’autre côté du Rhin.
(image trouvée tout en bas de cette page)
En 1950, il en va tout autrement. L’Allemagne, la malheureuse, ne peut pas ignorer qu’elle a été ravagée par sa défaite [et les alliés] avec l’effondrement du nazisme, la barbarie nazie. Et la France, même si De Gaulle a permis que les Français soient du côté des vainqueurs – vous vous rappelez le Maréchal allemand s’écriant avec un mélange de surprise et d’indignation : « Quoi ! Les Français aussi ! » – si De Gaulle a réussi cela, il y avait une part, malgré tout, de théâtre et les Français continuaient de savoir qu’ils avaient connu en 1940 une épouvantable défaite.
C’est pourquoi, je crois, on a été mieux prêts à se rapprocher. Vous savez bien qu’il n’y a pas d’Europe sans réconciliation entre la France et l’Allemagne. Il n’y a pas d’ennemi héréditaire qui vaille, sur la longue durée. Nous nous sommes battus au moins autant contre les Anglais.
Alors rappelons ça, rappelons que nous pouvons travailler ensemble. Le centenaire peut être une excellente occasion de le faire, en particulier auprès des plus jeunes générations.
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* notamment sur la place des peuples dans la guerre et dans l'Union Européenne.
(Oui, je sais, le raccourci est osé.)