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Les Caves du Majestic
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7 octobre 2016

Adieu Gary Cooper - Romain Gary (1965), Stanko Zavitch, le séisme de Skopje

Adieu Gary Cooper a paru d'abord en 1965 en anglais (américain) sous le titre Ski Bum, puis en 1969, chez Gallimard. Il raconte l'histoire de Lenny, réfugié états-unien en Suisse (Genève).

 

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On le doit à Romain Gary (1914-1980) écrivain alors en disponibilité de la diplomatie française. Cette expérience nourrit ce roman.

 

PHO90672858-d603-11e3-ad9b-f986fb0418d4-805x453Photo trouvée sur ce site.

 

Le livre est disponible à l'Institut Français de Belgrade (avec en couverture un dessin de Moebius).

 

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 L'extrait choisi se situe au tout début du livre. Il s'agit d'un seul paragraphe que nous avons divisé en trois partie afin d'en isoler la partie qui concerne un certain Stanko Zavitch (Stanko Zavić), un Yougoslave ayant quitté son pays. S'agit-il d'une pure invention ou peut-on y voir une clé ? Quelle actrice pouvait-elle être considérée comme la plus belle fille du pays ?

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Le roman se situe en Suisse, à Genève. Mais de nombreuses autres localités sont mentionnées.

Elles peuvent être suisses comme la Jungfrau, une montagne située dans les cantons de Berne et du Valais (cantons germanophones et francophones), ou Dorf, une commune située dans le canton de Zurich (germanophone).

 

Suisse Dorf Jungfrau

 

Elles sont également internationales. Dans le roman (comme l'annonce ce paragraphe) il sera beaucoup question du Vietnam, des Etats-Unis et de Madagascar. Par contre il n'y aura pas d'autre mention de la Yougoslavie.

 

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 Les liens disséminés dans ce paragraphe conduisent vers des explications d'expressions idiomatiques. Quand on n'a pas trouvé d'explication, on a simplement mis les expressions en italiques.

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Il y avait encore des traces de neige, autour du chalet, et il n'y avait qu'à lever les yeux pour voir le vrai truc, les neiges éternelles, comme on dit. À trois heures de l'après-midi, tout le cirque de la Jungfrau devenait violet d'un seul coup, avec des coulées de vert et de rose, et le froid devenait tellement pur que c'était soudain comme si on était enfin arrivé. Il n'y avait plus de saleté nulle part. La nuit tombait alors très vite, mais seulement au milieu, parce que la neige tout autour se foutait de la nuit comme de sa première chaussette. Elle continuait à étinceler, et pour peu que la lune et les étoiles se mettent de la partie, vous êtes vraiment servi. C'est bien simple : il n'y a plus aucune trace de psychologie nulle part. Il ne faut pas être trop couvert, mais laisser le froid venir bien près, il faut même commencer à geler un peu, pour sentir que vous êtes vraiment à deux doigts de la propreté, même si vous avez déjà vingt longues années de vie derrière vous. Évidemment, il faut mesurer les risques, ne pas se laisser aller à geler tout à fait. Il faut savoir s'arrêter à temps, même dans les meilleures choses. Mint Lefkovitz, de San Francisco, s'était laissé aller et avait pris une dose trop forte, et cinq semaines après on l'avait trouvé gelé dans un coin perdu, un sourire con aux lèvres, et Bug Moran avait fait une empreinte du sourire et il le gardait sur sa cheminée et on l'avait continuellement sous les yeux, pour rappeler que cela existe, qu'il suffit de le chercher, on est sûr de le trouver. On avait longuement discuté dans le chalet pour savoir s'il fallait envoyer le sourire con de Mint Lefkovitz à sa famille, qui bombardait Bug de câbles pour savoir “comment c'était arrivé”, mais finalement Bug écrivit une lettre conformiste où il expliquait au père Lefkovitz que son fils s'était immolé par le froid pour protester contre la guerre au Vietnam. Ça ne coûtait rien et cela allait faire plaisir à la famille de savoir qu'ils avaient un fils qui était un héros de la guerre du Vietnam. Vous pensez bien si Mint, et nous autres, la guerre au Vietnam, on s'en foutait. Comment peut-on s'intéresser à un truc qui est tellement dégueulasse qu'il en devient tout à fait normal ? C'est des histoires biologiques, les chromosomes, ils appellent ça, il n'y avait pas une cloche dans le chalet qui trouvait que la guerre au Vietnam le concernait, sauf lorsqu'il s'agissait de ne pas y aller.

Stanko Zavitch avait drôlement raison lorsqu'il disait que la seule chose qui comptait, c'était de ne pas participer à la démographie universelle, laquelle était comme la monnaie : plus il y en avait en circulation, et moins elle avait de valeur. Un gars de vingt ans, aujourd'hui, c'est complètement dévalorisé, il y en a trop dans le monde, c'est l'inflation, c'est pas la peine de discuter avec la démographie, c'est bête, c'est aveugle, ça déferle, ça vous écrase. Lenny n'avait pas du tout envie d'être quelqu'un, mais il avait encore moins envie d'être quelque chose. Stanko Zavitch était un type bien. Il avait quitté la Yougoslavie dans des circonstances obscures qui n'avaient rien à voir avec la politique, on disait que c'était une histoire d'amour extraordinaire, une vedette de cinéma, la plus belle fille de son pays, un vrai tremblement de terre, une liaison tellement romantique qu'il avait fini par foutre le camp, c'était si beau qu'il ne pouvait plus continuer. Il écrivait de longues lettres passionnées à la fille, parce qu'il avait du style, et par correspondance, c'était plus facile, on pouvait vraiment faire de la poésie. La fille répondait, sur le même ton, des lettres mouillées de larmes. Ils essayaient vraiment de bâtir quelque chose ensemble, ces deux-là. La fille baisait à droite et à gauche et Stanko aussi, mais ils avaient vraiment réussi à sauver leur amour, à le mettre en lieu sûr, dans un sanctuaire. Même ce vieux cynique de Bug était soufflé, il reconnaissait que c'était quelque chose de très beau, et on dit que le grand amour ça n'existe pas, et Bug expliquait à voix basse en regardant Stanko jouer aux échecs contre le fils de l'aubergiste de Dorf qui avait huit ans et que ce salaud de Stanko laissait toujours gagner pour lui donner le goût des abstractions, Bug expliquait que des hommes comme Stanko allaient un jour bâtir un monde nouveau, tout à fait ailleurs, quelque part, dans une autre dimension, un monde vraiment socialiste, complètement à l'abri de la réalité, et quand on saura qu'une telle beauté existe quelque part, on comprendra toute la grandeur de Lénine.

Bug Moran parlait toujours de Lénine, lorsqu'il était « aux anges ». L.S.D., un sale truc, Lenny s'était embarqué là-dedans une fois, mais tout ce qu'il avait vu, c'était la même chose, seulement en technicolor, et le seul moment différent fut lorsque sa verge s'était détachée de lui, avait mis son anorak et pris ses skis, et il s'était mis à hurler et à courir pour les rattraper, il tenait ses skis comme à la prunelle de ses yeux. Se faire voler comme ça par un des siens... On ne peut vraiment plus compter sur personne. Le L.S.D., le haschisch, tout ça, c'est du yoga. C'est bon pour les paumés. Lenny, lui, n'était pas un paumé. Il avait les pieds solidement plantés sur les skis, quant à la terre dessous, il s'en foutait, c'était tout juste quelque chose qui soutenait la neige. Malheureusement, l'été était là, et la terre se rappelait à votre bon souvenir, salut les copains, on en avait plein les yeux, de la croûte terrestre, dès qu'on mettait le nez dehors. Lenny ne quittait plus le chalet. Bug, qui était très instruit, lui avait fait son horoscope, tout ce qu'il y a de plus scientifique, et il lui avait dit qu'il y avait du vilain, il devait se méfier des scorpions et des vierges, ce que Lenny savait déjà, mais que, par contre, il allait avoir de la chance, à condition d'être extrêmement prudent et, surtout, de ne pas aller à Madagascar. Madagascar, c'était un truc à éviter à tout prix. Bug était incapable de dire quel était le piège qui attendait Lenny là-bas, mais il était sûr que c'était quelque chose de tout à fait dégueulasse. C'était bon à savoir, parce que quand vous avez vingt ans et que vous êtes américain, vous essayez de foutre le camp aussi loin que vous pouvez, et on peut très bien se trouver à Madagascar, il était reconnaissant à Bug de l'avoir prévenu.

 

 ******

 

On trouve une autre mention de la Yougoslavie dans un court monologue de Chuck, un personnage d'étudiant noir américain inscrit au programme de licence de lettre. Ce passage figure dans le troisième chapitre du roman. Il parle des rassemblement internationaux, incluant les kibboutz en Israël, le festival de la Paix à Moscou et les Brigades de la Jeunesse en Yougoslavie.

 

4Mladinski_rabotni_brigadi,_SkopjePhoto trouvée sur ce site.

 

Dans ce dernier cas, il s'agit sans doute d'une référence au tremblement de terre de Skopje qui eut lieu le 26 juillet 1963 et suscita une solidarité internationale et la participation de nombreuses personnalités.

 

« Je crois que je vais laisser tomber mes études, dit Chuck. J'ai l'impression de blanchir. Au fond, ici, c'est la grande fuite, tout le monde cherche à s'évader. Comme nos amis qui parlent d'aller travailler dans un kibboutz en Israël. C'est la chose chic à faire en ce moment. Ça se porte beaucoup cet été, le kibboutz. L'année dernière, c'était le festival de la Paix à Moscou. Il y a deux ans, c'étaient les Brigades de la jeunesse, en Yougoslavie, après un petit tour en Angleterre, avec les marcheurs pour le Désarmement nucléaire. Le guide bleu de l'Europe du parfait jeune idéaliste. Je te parie que l'année prochaine, ce sera le petit livre rouge de Mao, après un week-end chez Che Guevara, à Cuba. Le nouveau jet-set. La croisade de l'air pur. Quinze jours à la mer. J'ai envie de rentrer à Birmingham pour me replonger dans la merde. J'ai besoin de recharger mes batteries. »

 

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