Cité d'Ys (2) Gwerz Kêr-Is - Yann-Fañch Kemener & Didier Squiban (1995)
Vendredi 25 novembre (hier soir) à l'institut on m'a invité à venir faire ce que je fais sur ce blog : des associations d'idées en quelques mots, images et (parfois) sons.
C'était à l'occasion du vernissage de l'exposition consacrée au travail de Dejan Nenadov pour une série intitulée La Légende d'Ys qui vient de paraître en serbe.
Le scénario en est de Jean-Luc Istin, directeur de collection chez Soleil et auteur d'une bibliographie impressionnante dont une grande part est liée à la matière de Bretagne (les légendes arthuriennes et les autres).
L'éditeur, Komiko, compte dans son catalogue de nombreux titres francophones de périodes diverses, donnant accès au public serbophone à des œuvres marquantes.
Après avoir situé rapidement la légende dans l'espace et le temps, on a parlé de quelques exemples de sa postérité avec :
- Bran Ruz, d'Auclair & Deschamps, dans cette note-ci ;
- Gwerz Kêr-Is, par Yann-Fañch Kemener & Didier Squiban, dans cette note-là.
Beaucoup d'élément dans la littérature, le cinéma, la musique... nous donnerons peut-être l'occasion d'y revenir...
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Le dispositif de la soirée n'a pas permis d'écouter Gwerz Kêr-Is (la complainte de la cité d'Ys) par Yann-Fañch Kemener (né en 1957) et Didier Squiban (né en 1959).
Cette chanson a paru sur l'album Enez Eusa (Île d'Ouessant - 29), le premier d'une série de trois albums qu'ils réaliseront ensemble.
Le chanteur Yann-Fañch Kemener est l'interprète de tout un répertoire de chants traditionnels qu'il a parfois lui-même recueilli.
Qui étudie le breton aura intérêt à l'écouter. Dans un entretien donné dans l'Œil électrique vers 2001, André Markowicz dit ceci :
« quand j'écoute un paysan, ou que j'écoute Yann-Fañch Kemener (…) je sais que c'est une vraie langue, c'est-à-dire une façon de penser. »
On peut lire l'entretien complet qui intéressera les traducteurs en général.
Le pianiste de jazz Didier Squiban a rapidement intégré dans son répertoire des airs traditionnels. Certains de ce ses albums solo leur sont exclusivement consacré. Des albums comme Molène ou Pors Gwenn sont très agréables.
(traditionnel)
Document trouvé à cette adresse.
La traduction française vient du CD. La traduction serbe a été réalisé pour le vernissage (cf. intro).
1. Petra'zo nevez ê ker is |
1. Ima li šta novo u gradu Isu, 1. Qu'y a-t-il de nouveau dans la ville d'Ys |
2. e kêr is n'eus netra nevez |
2. Ničeg novog u gradu Isu, 2. Il n'y a rien de nouveau dans la ville d'Ys |
3. Bodennoù drez 'zo diwanet |
3. Žbunovi trnja su nikli 3. Des bosquets de ronces ont poussé |
4. Ahes merc'h ar roue gralon |
4. Ahes, ćerka kralja Gralona 4. Ahès la fille du roi Gralon, |
5. Sant gwenole gant kalonad |
5. Sveti Gvenole, sa bolom u srcu, 5. Saint Gwenolé, avec peine de coeur |
6. Gralon, Gralon, lakaet evez |
6. Gralone, Gralone, obrati pažnju 6. Gralon, Gralon, prêtez attention |
7. Hag ar roue spouronet |
7. Mudri kralj, rasrđen, 7. Et le roi sage, courroucé |
8. Ha skuizh gant rebechoù he zad |
8. Umorna od očevih prigovora 8. Fatiguée des reproches de son père |
9. Eno, gant heh amouroujen |
9. Tu, sa svojim ljubavnicima, 9. Là, avec ses amoureux |
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Le genre de la gwerz (complainte) suscite toujours un certain intérêt mais a encore besoin d'être défendu. C'est ce que font de nombreux interprètes dont nous pouvons citer, outre Yann-Fañch Kemener, Denez Prigent, Louise Ebrel ou les sœurs Goadec.
L'album dont on a repris la pochette est l'enregistrement de concerts donnés au Théâtre de Cornouailles à Quimper du 27 au 31 octobre 2008 par Nolùen Le Buhé, Annie Ebrel et Marthe Vassallo, trois fameuses interprètes de gwerz. André Markowicz a participé à ces concerts en disant les traductions en alternance avec les strophes chantées.
Le texte reproduit ci-dessous a paru dans le livret de cet album de « Gwerzioù ». On le reproduit car il paraît refléter une situation qui ne concerne pas seulement la culture bretonne.
La gwerz, genre majeur de la tradition populaire du chant breton, est d'abord un récit, celui de la vie, de la mort, des aventures, d'une certaine personne dont l'important n'est pas qu'il s'appelle Paul ou Jacques, vivant dans tel village (même si le nom et le village d'origine sont très souvent cités) mais que ses aventures sont exemplaires, capables d'éveiller l'émotion chez n'importe quel auditeur. Certaines de ces gwerz sont des sommets de poésie.
Pourtant, qui aujourd'hui chante en breton des récits complets pendant, pour quelques-uns de ces récits, une vingtaine de minutes, et dans quelles circonstances peut-ont les chanter ? Quel interprète se permettrait-il, aujourd'hui, sur scène (à part, sans doute, pendant une veillée* Dastum**), d'interpréter ces récits a capella du début à la fin, sur une mélodie presque toujours unique, et dans une langue que la majorité de ses auditeurs, bien souvent, ne comprend pas ?
Pour les chanteurs actuels, la gwerz est presque devenu un genre secret. On se la chante entre amis, un extrait en public, deux, trois minutes, cinq maximum, et la suite, après le concert, quand on reste entre soi. Ou, plutôt le matin suivant, dans la cuisine, quand la plupart des amis dorment encore.
Nous souhaitons faire entendre la musique, le chant, et les paroles : dès lors que la chanson est un récit, la voix chantée peut s'interrompre d'épisode en épisode, pour laisser place à une autre voix, parlée, celle-ci, en français, pour dire dire le sens précis de ce qui est est chanté. Ainsi, en alternant voix chantée et voix parlée, nous déroulons les récits d'un bout à l'autre.
* Une veillée est un moment dans lequel les gens qui vivent ensemble se retrouve, discutent, se racontent les nouvelles, des histoires, chantent. On l'oppose à la télévision dont on dit qu'elle a remplacé ce moment.
** Dastum (verbe breton signifiant ramasser, rassembler, recueillir) est une association fondée en 1972 dont le but est de collecter et de diffuser le patrimoine culturel breton.