Twist again... à Bečej et à Belgrade (1986) - 3 Souvenirs de Jacques François (3)
En 1992, Jacques François (1920-2003) fit paraître une autobiographie, ou plutôt un recueil de rencontres, de souvenirs et de réflexions sur son métier. Comme à notre habitude sur ce blog, nous en avons retenu les trois passages liés à l'ex-Yougoslavie.
Jacques François est connu du grand public pour ses nombreux seconds rôles dans la série des Gendarmes avec Louis de Funès, les films de Jean Yanne et ceux de Jean-Marie Poiré, souvent dans un même emploi. Néanmoins, il considérait le théâtre comme son vrai métier.
******
Le dernier passage a lieu quatre décennies après ceux précédemment évoqués ici et là, lors du tournage de Twist again à Moscou dont le rôle titre (celui de Moscou) a été tenu par Belgrade. Engagé par Jean-Marie Poiré (né en 1945) pour cette comédie, Jacques François raconte son expérience plutôt négative de la région.
La mairie de Belgrade dans le rôle de l'Hôtel Tolstoï.
La mairie de Belgrade au "naturel". [photo trouvée ici.]
Cet extrait pourra être complété par les Souvenirs du Maréchal Bassounov, petit supplément du documentaire intitulé Loufok'n'roll attitude à Belgrade de Jérémie Imbert et Yann Marchet, figurant dans les bonus de l'édition DVD du film. Dans ce documentaire, Jean-Marie Poiré et quelques membres de l'équipe du film racontent des souvenirs de tournage.
J'eus, grâce [au Père Noël est une ordure], le privilège de me lier avec Jean-Marie Poiré puis de participer à plusieurs de ses films toujours avec le même plaisir, même si les circonstances rendaient parfois le tournage plein de douloureuses surprises.
Le Père Noël est une ordure (1982), photo trouvée ici.
Ainsi, après Papy fait de la Résistance, il entreprit Twist again à Moscou. Je devais y jouer le rôle d'un maréchal de l'Union soviétique sensiblement plus âgé que je ne l'étais. Les essais de maquillage eurent lieu à Paris et furent à ce point enchanteurs qu'en rentrant chez moi, je priai Madeleine [Delavaivre, son épouse] de téléphoner à Jean-Marie pour lui dire que si cette expérience devait se renouveler tous les jours pendant deux mois, je renonçais à faire le film. Sur son affirmation catégorique, qui se révéla horriblement mais amicalement mensongère, que cet essai ne voulait rien dire, j'acceptai de devenir un second Vorochilov, beaucoup plus fatigué que le premier.
Photo trouvée ici.
Marina Vlady et Philippe Noiret partirent en éclaireurs pour un endroit que nous sommes seuls au monde à connaître et qui s'appelle Betchaï [Bečej], à la frontière de la Hongrie et de la Croatie [sic]. Bien entendu, nous n'avions pas eu l'autorisation de singer l'Union soviétique sur son propre territoire. Betchaï se compose de huit ou dix maisons et d'une sorte de château datant du siècle dernier qui abritait toute l'équipe technique et artistique et se trouvait doté d'une électricité et d'une eau courante extrêmement fantaisistes.
Bernard Blier et moi quittâmes Paris ensemble pour Belgrade, d'où il ne nous restait que trois cents kilomètres à faire en voiture pour rejoindre le coquet village cité plus haut ! Cette aventure devait se situer en février. Il y avait un mètre cinquante de neige sur la route et, après cinq ou six heures de voyage, à quelques dizaines de verstes de Betchaï, notre voiture se retourna mollement dans le fossé et dans la neige. Il était trois heures du matin. Bernard Blier était hors d'état, m'affirma-t-il, de porter une valise. Personne ne nous attendait et c'est à pied que, charriant mes bagages et ceux de l'inoubliable interprète du Nombril, je finis par atteindre notre résidence. Jean-Marie Poiré m'a avoué beaucoup plus tard qu'il était mort d'inquiétude, mais avait feint de dormir, car, me connaissant, il s'attendait avec juste raison au pire !
Le Nombril est une pièce de Jean Anouilh créée par Bernard Blier au théâtre de l'Atelier (18e arrondissement de Paris).
Contrairement aux affirmations de Jean-Marie, chaque matin, vers six heures, par un froid sibérien – c'est l'occasion ou jamais de se servir de cette expression –, un virtuose du fond de teint et de la colle à moustache, engagé pour mon usage personnel, s'acharnait sur moi pendant deux heures. Je restais ensuite la journée entière le visage couvert des monstruosités en caoutchouc qu'il y avait collées. Très rapidement nos rapports se détériorèrent. Je tins le coup pendant une semaine ou deux, puis mes bonnes résolutions s'effondrèrent. Je tournai le film sans parler à qui que ce soit, même pendant un assez long séjour à Belgrade, ville complètement dénuée d'intérêt, mais où nous avions retrouvé un semblant de confort international.
Jacques François sur l'affiche de Twist again à Moscou.
Philippe Noiret et Christian Clavier mirent au point un incomparable numéro de duettistes qui est une irrésistible imitation de moi déambulant sinistrement dans les couloirs de l'hôtel ou les lieux de tournage. Je ne pensais pas, avant de les voir œuvrer tous deux, que je pouvais être aussi ridiculement sinistre.