La Raison du plus faible (2) - La Ballade des Pendus (Frères humains, qui après nous vivez) - François Villon (1464)
Nous avions parlé hier d’une référence littéraire dans La Raison du plus faible, un film de Lucas Belvaux. L’autre référence est aussi scolaire puisque l’un des protagonistes, Patrick, interprété par Éric Cavacca, aide son fils Steve à apprendre la Ballade des Pendus de François Villon.
On dit de lui qu’il a été le premier "poète maudit" français. Ses thèmes : la criminalité, l’argot, la fraternité… le tout dans une langue et un rythme maîtrisés et une sensibilité qui justifie qu’on l’aime encore aujourd’hui, malgré des tournures de phrase archaïques. Si Steve a besoin de l'aide de son père pour l’apprendre, c’est justement en raison de quelques difficultés syntaxiques. On comprendra mieux le début si on le recompose ainsi :
« Frères humains qui vivez après nous, n’ayez pas contre nous les cœurs endurcis, car si vous avez pitié des pauvres que nous sommes, Dieu vous pardonnera plus rapidement. »
Paradoxalement, ce poème peut sembler plus facilement accessible à celui qui maîtrise moins bien le français.
Qu’est-ce qui fait qu’on puisse encore entendre François Villon aujourd’hui ? Il y a un côté sulfureux qu’on peut retrouver dans des romans sociaux ou policiers (qui, en France, sont souvent les mêmes), mais il y a aussi que ses textes ont été transmis par d'autres que par l’école.
Nous entendîmes naguère de Villon un poème par Brassens chanté. Voici aujourd’hui une interprétation par Léo Ferré de la Ballade des Pendus. On a félicité ce chanteur d’avoir rendu accessibles Rimbaud, Baudelaire, Verlaine, Apollinaire et d'autres par ses mises en musique et ses enregistrements diffusés à la radio.
Ce film, ce chanteur, ce père contribuent à transmettre une culture populaire qu'elle soit littéraire ou de classe...
Transcription :
Un génie du XVème siècle, il avait des problèmes avec les flics. Il s’appelait François Villon.
CHANT (la ballade des pendus)
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci-attachés, cinq, six
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rit
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci-attachés, cinq, six
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rit
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ni que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
CONTRE-CHANT (épitaphe du dit Villon)
L’amour n’a pas d’âge
Et la mer étale
Là-bas sur la plage
Non plus n’a pas d’âge
Les mots sont les mots
Toujours mal criés
Pourtant, il faut bien
Se servir des mots
Qu’on nous a laissés
Écrits sur la vie
Criés dans les cris
Des amants lassés
L’amour n’a pas d’âge
Et la mer étale
Là-bas sur la plage
Non plus n’a pas d’âge