Une seule phrase - François Morel (2014)
Chaque vendredi à 8h55, dans le 7/9 de France Inter présenté par Patrick Cohen, le chroniqueur radiophonique François Morel (qui est également comédien, écrivain et chanteur) disserte pendant trois minutes trente sur des thèmes liés plus ou moins directement à l'actualité.
François Morel profite du passage d'Erik Orsenna (né en 1947, écrivain, membre de l'académie française) pour aborder des thèmes tels que ceux de la grammaire, de la ponctuation, du point-virgule, de l'Académie Française... le tout en une phrase.
Erik Orsenna en habit vert
Oui. Littéralement. Une seule et unique phrase.
(De 565 mots environ.)
Morel : "une seule phrase" par franceinter
Transcription
François Morel – Bonjour Patrick, je profite de la présence d’un académicien français venu ce matin avec son bicorne et son épée, sa moustache et ses lunettes, intercepté entre l’île de Bréhat (22) et la rue Notre-Dame-des-mots, entre le Gulf Stream et le Conseil d’État, entre la Coupole et un fâcheux abandonné, autant dire entre un Quai Conti et un con quitté, pour ne prononcer qu’une seule phrase, pas cinq, pas quatre, pas trois, pas deux, une seule phrase mais avec naturellement des incidentes et des incises, avec des subordonnées et des relatives, avec, si ça se trouve, des complétives et des circonstancielles, mais une seule phrase, intialisée par une majuscule et conclue dans moins de trois minutes trente maintenant, le temps passant si vite, par un point qui pour être final n’en sera pas moins libérateur, et bienvenu, et opportun, parce que quand on a devant le micro à côté de soi, même virtuellement, quelqu’un qui maîtrise la langue avec excellence, autant faire profil bas, je dirais même autant tondre les cloisons, autant tailler les remparts, oui, autant raser les murs en ne tentant de prononcer qu’une seule et unique phrase car à partir de deux phrases, c’est logique, c’est mathématique, c’est cartésien, vous multipliez immédiatement par deux les écueils du cuir et les menaces du pataquès sans compter les pièges du velours et les périls de la psilose, toutes ces infirmités de la langue française qui chaque fois qu’elles sont proférées à l’antenne occasionnent autant de plaintes que de courriers vengeurs adressés directement à ce pauvre monsieur Bouvier, médiateur à Radio France et sosie de Jean Ferrat, qui, j’en suis sûr me sera reconnaissant de limiter pour une fois les risques d’incorrections en n’articulant qu’une seule phrase qui sans doute sera entrecoupée de virgules – comment faire autrement ? –, de parenthèses – comment les éviter ? –, voire de points de suspension – si j’en ai l’usage – mais qui ne sera surtout pas encrassée par ces saloperies de points-virgules, ces couilles molles de la ponctuation qui sont autant d’aveux de faiblesse mais qui, à juste titre, tant mettaient en rage feu François Cavanna qui pensait pertinemment que dans la vie il fallait choisir la vie ou la mort, le vice ou la vertu, les Rolling Stones ou les Beatles, Sartre ou Camus, Jacques ou le Croquant, la gauche ou la droite, le point ou la virgule, mais surtout pas le point-virgule qui était à ses yeux farouches une véritable impuissance à trancher dans le vif – suivez mon regard – une incapacité à se déterminer car enfin aucun grenelle de la ponctuation, aucun comité de spécialiste, ne saurait mettre d’accord un point et une virgule, aussi dissemblables qu’un patron et un ouvrier, un curé et un anarchiste, un inspecteur de la Cour des comptes et un membre de l’Institut, à propos de qui on vient d’en apprendre de belle grâce au livre de Daniel Garcia, Coupole et dépendances, sorti pas plus tard qu’hier, racontant que sous les robes de la vieille dame du quai Conti, entre ses gigantesque cuisses qu’elle serre comme un étau, on trouve des forêts, des immeubles, des milliards d[...], ainsi que quelques subsides de l’État qui peut-être seraient avantageusement employés s’ils servaient la culture dont le budget connaît une érosion continue depuis que la gauche est au pouvoir, ce qui j’imagine doit susciter chez monsieur Orsenna, homme de gauche et de culture, certaines réflexions intéressantes, point à la ligne.
Erik Orsenna, l'invité, a déclaré Proust battu par François Morel.
On peut l'entendre ici.
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Monsieur Jérôme Bouvier s'occupe en effet de la médiation entre Radio France et les auditeurs lorsque ces derniers relèvent des erreurs.
Peut-on dire de Jérôme Bouvier qu'il est le sosie de Jean Ferrat ?
Le Conseil d'État (ci-dessus)
conseille avant tout le gouvernement notamment quant aux questions législtatives
La Cour des comptes (ci-dessus)
est chargée principalement de contrôler les comptes publics.
L'Institut de France (ci-dessous),
surnommée la Coupole,
est une institution publique. Il regroupe les différentes académies.
Finalement, à regarder la carte,
La Cour des comptes - A
(1er arrondissement, rue Cambon),
Le Conseil d'État - B
(1er arrondissement, place du Palais Royal),
et
l'Institut de France - C
(6ème arrondissement, quai de Conti)
ne sont pas si éloignés.
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La proposition
"Entre ses gigantesque cuisses qu’elle serre comme un étau"
est une belle référence à Hécatombe, une chanson de Georges Brassens qui écrit :
" Entre ses gigantesques fesses / Qu'elle serre comme un étau "
Georges Brassens - Hécatombe sur WAT.tv sélectionnée dans Musique