31/45 - Sarah - Reggiani (1967), Moustaki (1974), "Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre" - Baudelaire (1908)
L’Heureux mix (2003) de la Tordue est un mélange des paroles de plusieurs chansons ayant marqué les auteurs sur une musique originale Comme ils ne sont pas les seuls à les connaître découvrons-les ensemble
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Le comédien Serge Reggiani (1922-2004) a 42 ans lorsqu’il enregistre en 1962 un premier disque de chansons consacrées à Boris Vian.
En 1967, cinq ans plus tard, paraît un deuxième album qui l’installe définitivement comme chanteur populaire.
Publiée le 16 décembre 2012 par woud90
(Prélude de Charles Baudelaire)
Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,
Et la tête et l'oeil bas comme un pigeon blessé,
Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a par un soir d'hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.
Cette bohème-là, c'est mon bien, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
(Georges Moustaki)
La femme qui est dans mon lit
N'a plus 20 ans depuis longtemps
Les yeux cernés
Par les années
Par les amours
Au jour le jour
La bouche usée
Par les baisers
Trop souvent, mais
Trop mal donnés
Le teint blafard
Malgré le fard
Plus pâle qu'une
Tâche de lune
La femme qui est dans mon lit
N'a plus 20 ans depuis longtemps
Les seins si lourds
De trop d'amour
Ne portent pas
Le nom d'appas
Le corps lassé
Trop caressé
Trop souvent, mais
Trop mal aimé
Le dos vouté
Semble porter
Des souvenirs
Qu'elle a dû fuir
La femme qui est dans mon lit
N'a plus 20 ans depuis longtemps
Ne riez pas
N'y touchez pas
Gardez vos larmes
Et vos sarcasmes
Lorsque la nuit
Nous réunit
Son corps, ses mains
S'offrent aux miens
Et c'est son cœur
Couvert de pleurs
Et de blessures
Qui me rassure
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C’est déjà la quatrième fois sur ce blog et la trosième fois dans l’Heureux Mix que l’on se réfère à cet album de Serge Reggiani paru en 1967.
Il y mélange chansons (Moustaki, Vian, Goraguer, Gainsbourg, Dabadie…) et poèmes (Baudelaire, Prévert, Apollinaire et Rimbaud), ce qui en fait une forme de synthèse de ce qui était populaire alors dans la chanson d’auteur, alors que lui-même était interprète.
- Les loups sont entrés dans Paris
- La vie c'est comme une dent
- Prélude de Sarah – Sarah
- Maxim's
- Ma solitude
- Fleurs de méninges
- Le Petit Garçon
- Prélude extrait de Pater noster – Quand j'aurai du vent dans mon crâne
- Ma liberté
- Prélude extrait du Pont Mirabeau – Paris ma rose
- L'Hôtel des rendez-moi-ça
- Prélude Le dormeur du Val – Le Déserteur
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Hormis pour lui-même, c’est pour Serge Reggiani que Georges Moustaki (1934-2013) a écrit le plus grand nombre de textes.
Révélé en tant que chanteur en 1969 après quelques déboires, il a d’abord poursuivi une carrière d’auteur-compositeur pour les autres. Son premier grand succès d’auteur fut Milord, chanson interprétée par Édith Piaf, avec qui il eut une histoire d’amour. C’est elle, a-t-il dit, qui lui a inspiré Sarah.
Il l’a lui-même enregistrée en 1974 avec l'accord de Serge Reggiani.
Publiée le 13 juin 2012 par JOLINES613
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On l’a vu, dans cet album, Serge Reggiani a ouvert quatre chansons avec un extrait de poème.
Celui qui ouvre Sarah est un poème sans titre de Baudelaire (1821-1867) dont le premier vers est « Je n’ai pas pour maîtresse une lionne illustre » paru en 1908, quarante ans après la mort du poète. Ce texte est le VII du recueil intitulé Poème divers.
VII
Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre :
La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre ;
Invisible aux regards de l'univers moqueur,
Sa beauté ne fleurit que dans mon triste cœur.
Pour avoir des souliers elle a vendu son âme.
Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,
Je tranchais du Tartuffe et singeais la hauteur,
Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.
Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.
Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque ;
Ce qui n'empêche pas les baisers amoureux
De pleuvoir sur son front plus pelé qu'un lépreux.
Elle louche, et l'effet de ce regard étrange
Qu'ombragent des cils noirs plus longs que ceux d'un ange,
Est tel que tous les yeux pour qui l'on s'est damné
Ne valent pas pour moi son œil juif et cerné.
Elle n'a que vingt ans ;– la gorge déjà basse
Pend de chaque côté comme une calebasse,
Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,
Ainsi qu'un nouveau-né, je la tette et la mords,
Et bien qu'elle n'ait pas souvent même une obole
Pour se frotter la chair et pour s'oindre l'épaule,
Je la lèche en silence avec plus de ferveur
Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.
La pauvre créature, au plaisir essoufflée,
A de rauques hoquets la poitrine gonflée,
Et je devine au bruit de son souffle brutal
Qu'elle a souvent mordu le pain de l'hôpital.
Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,
Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,
Car, ayant trop ouvert son cœur à tous venants,
Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.
Ce qui fait que de suif elle use plus de livres
Qu'un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,
Et redoute bien moins la faim et ses tourments
Que l'apparition de ses défunts amants.
Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant, au coin d'une rue égarée,
Et la tête et l'œil bas comme un pigeon blessé,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,
Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a par un soir d'hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.
Cette bohème-là, c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.