Notre poison quotidien - Marie-Monique Robin (2010)
Avec Notre poison quotidien de Marie-Monique Robin (documentariste et journaliste née en 1960) nous donnera l'occasion d'aller faire un tour en France, en Suisse, aux États-Unis et en Inde.
Le titre est une référence au pater noster, une prière chrétienne qui contient la phrase "Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien".
Ce documentaire vise à dénoncer les rapports entre les firmes agro-alimentaires, les institutions sanitaires nationales et internationales et les recherches indépendantes.
Il aborde de nombreux thèmes dont les pesticides, l'aspartame (E951), les perturbateurs endocriniens dont le bisphénol A, un composant du plastique et surtout la notion de "cocktail explosif", qui indique que si des recherches ont été effectuées sur chaque produits, on ne sait rien de leur interaction.
Informatif et démonstratif, ce documentaire est-il catastrophiste et déprimant ?
Ou bien sera-t-il optimiste puisque, comme il est dit au début, "savoir, c'est pouvoir" ?
Bande-annonce visible ici
Transcription
Bernadette Ossendorp – Si vous voulez vraiment un risque zéro, vous avez raison, il ne faut pas utiliser de pesticide.
Pr Angelo Moretto – L’Union Européenne a exprimé des inquiétudes concernant les limites que nous avions fixées.
MM Robin – Pour le dire crûment, nous mangeons du poison, et beaucoup.
- Donc ce sont les consommateurs qui prennent les risques et les entreprises qui reçoivent les bénéfices.
Notre poison quotidien, le 16 juillet sur Arte.
Commentaire
Bernadette Ossendorp et Angelo Moretto ont été à la tête du JMPR.
- Le JMPR, cela signifie the Joint FAO/WHO Meeting on Pesticide Residues. En français, c’est la Réunion Conjointe FAO/OMS sur les Résidus de Pesticides.
- Dans le documentaire, il sera souvent question de l’OMS, l’Organsiation Mondiale de la Santé, appelé WHO (World Health Organization) en anglais.
- La FAO, c’est la Food & Agriculture Organization. En français, on peut dire aussi l’ONUAA.
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Le site d’Arte consacré à ce documentaire est rès riche en informations et en liens que vous consulterez en préparation ou à l’issu de la projection.
Nous proposons les transcriptions de quatre extraits (chacun durant de 3 à 5 minutes) mis en ligne sur le site d’Arte.
C'est beaucoup pour une note de blog.
Ces extraits s’accompagnent de nombreux liens pour approfondir la question.
Les sujets de ces quatre extraits seront :
- Les pesticides ;
- L'aspartame (E951) ;
- Le bisphénol A (un élément du plastique) ;
- L'Inde (et le curcuma).
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(visible ici)
Cet extrait contient un entretien avec Vincent Cogliano, le chef du programme des monographies pour le CIRC, le Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC en anglais). Créé en 1965, son siège est situé à Lyon (69).
Transcription
Dans le domaine du cancer, le CIRC est une référence internationale. C’est lui qui établit les monographies c’est-à-dire la classification des produits chimiques en fonction deleur potentiel cancérigène, un outil capital pour la réglementation des substances. Pour cela, ces expertsexaminent la littérature scientifique, concernant le produit, à savoir toutes les études publiées dans ce qu’on appelle les revues à comité de lecture.
Les substances sont classées en trois catégories.
Groupe 1 : cancérigène pour l’homme,
Une catégorie exceptionnelle, car pour qu’une molécule en fasse partie, il faut qu’il y ait des données épidémiologiques, ce qui est très difficile à obtenir.
C’est le cas de l’amiante [abestos] ou du benzène. [benzene].
Viennent ensuite le groupe 2A, cancérigène probable pour l’homme, et le groupe 2B, cancérigène possible, qui caractérisent des substances pour lesquelles il existe des données expérimentales chez l’animal, plus ou moins importante. Sur les cent mille produits chimiques commercialisés depuis la fin de la première guerre mondiale, seules 900 ont été évalués par le CIRC.
Plus de la moitié fait partie du groupe 3 : inclassable.
MM Robin – Est-ce que le fait qu’un produit chimique qui n’ait pas été classé par le CIRC signifie qu’il n’est pas dangereux ?
Vincent Cogliano – Non, pas du tout. Cela signifie que dans la plupart des cas, il n’a pas été testé. Parfois il a été testé, mais nous n’avons pas encore programmé son évaluation. En général, cela signifie que personne n’a examiné ces données pour le cancer, ou que personne n’a étudié ses effets cancérigènes potentiels.
MM Robin – Combien de pesticides ont été évalué par le CIRC ?
Vincent Cogliano – Je ne les ai pas vraiment compté mais je pense que nous avons dû évaluer une vingtaine ou une trentaine de pesticide dans toute l’histoire de notre programme.
MM Robin – Ce n’est rien !
Vincent Cogliano – C’est vrai que ce n’est pas beaucoup si on compare avec le nombre de pesticide qui sont utilisés. En fait, c’est très difficile pour nous de faire une évaluation sérieuse des pesticides parce que la majorité des études expérmentales qui les concerne ne sont pas publiques. Certes les firmes qui produisent des pesticides sont censées fournir des données aux agences sanitaires nationales et elles font des tests. Les études sont transmises aux agences gouvernementales mais elles ne sont pas publiées. C’est très difficile pour nous d’y avoir accès.
MM Robin – Comment expliquez-vous le fait que les études conduites par l’industrie des pesticides ne soient pas publiées dans des revues scientifiques à comités de lecture ?
Vincent Cogliano – Il n’est peut-être pas dans l’intérêt des firmes de publier des résultats qui suggèrent que leurs produits peuvent être nocifs. De toute façon, elles ne sont pas obligées de rendre publiques leurs études.
MM Robin – Vous savez qu’en 2007 les académies françaises de médecine et de science ont publié avec le CIRC un rapport intitulé les causes du cancer en France. Les auteurs écrivent qu’aucun des pesticides utilisés actuellement n’est cancérogène chez l’animal ou chez l’homme. J’ai consulté vos monographies et j’ai trouvé au moins deux pesticides actuellement utilisés classés comme 2B : le dichlorvos et la chlorothalonil. S’ils ont été classé 2B, ça veut dire ques des études ont montré qu’ils étaient cancérigènes au moins chez les animaux.
Vincent Cogliano – Oui, ils sont toujours utilisés, et je suis sûr qu’ils sont cancérigènes pour les animaux.
MM Robin – Ça veut dire que l’affirmation de ce rapport est inexacte ?
Vincent Cogliano – Oui. Je pense qu’elle l’est.
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Les personnalités interrogées sont :
- David Hattan, toxicologue à la FDA (Food & Drug Administration) dont les origines remontent à 1906. Son siège est actuellement à Silverspring dans le Maryland.
- John Olney, Neuropsyhchiatre, Université Washington, Saint Louis.
- Il est aussi question de Betty Martini, membre de la Mission Possible International (fondée en 1995 et basée à Atlanta).
Transcription
300 additifs alimentaires sont actuellement utilisés en Europe. Parmi eux, l’aspartame, un édulcorant de synthèse que l’on retrouve dans au moins 6000 produits de consommation courante comme les boissons gazeuses, les produits dits sans sucre, les sucrettes, les chewing-gums, mais aussi les médicaments. Son nom de code : E951.
L’histoire de l’aspartame est exemplaire. On y retrouve toutes les techniques utilisées par l’industrie pour manipuler le processus de réglementation.
Tout a commencé en 1965 lorsqu’un chercheur de la firme pharmaceutique Searle a découvert fortuitement la molécule.
Neuf ans lus tard, l’entreprise dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès de la Food & Drug Administration (FDA), l’agence américaine chargée de la sécurité des aliments et des médicaments.
En 1981, la FDA homologue le produit sous le nom de Nutrasweet avec une DJA de 50 milligramme.
MM Robin – Pensez-vous que l’aspartame est sans danger ?
David Hattan – Oui, je le pense.
MM Robin – Quand la FDA a établi la DJA de l’aspartame, était-ce basé sur des études fournies par Searle, le fabriquant ?
David Hattan – Tout-à-fait.
Nous voici au cœur du problème. Les études fournies par Searle pour voter l’homologation de l’aspartame ont été l’objet d’une vive polémique dans les années 1970. À l’origine, John Olney, un neurologue, que l’on voit ici dans une conférence de presse donnée en 1996, soit 15 ans après la mise sur le marché de l’aspartame.
[Archive] Dr John Olney – [sous-titre] Notre article fait état d’une augmentation de tumeurs cérébrales, des tumeurs crébrales de plus en plus malignes, dans la population américaine. Ceci remonte à trois ans après l’introduction de l’aspartame.
MM Robin – Quelles études avez-vous conduites sur l’aspartame ?
Dr John Olney – Ma première étude date de 1971. Et elle concernait l’acide aspartique, qui n’est pas l’aspartame. L’aspartame est une combinaison de deux acides aminés : l’acide aspartique et la phénylalanine. Mon étude a montré que l’acide aspartique détruit les cellules nerveuses comme le fait le glutamate. Ensuite, j’ai demandé à la firme Searle de m’envoyer un échantillon d’aspartame, ce qu’elle a fait. Je l’ai donné à manger à des bébés souris et j’ai observé les mêmes dégâts cérébraux qu’avec l’acide aspartique ou le glutamate.
MM Robin – Mais si l’aspartame est susceptible de provoquer des tumeurs au cerveau, c’est un énorme enjeu sanitaire. Pourquoi la FDA a-t-elle autorisé cette substance ?
Dr John Olney – Parce que la FDA n’a pas fait correctement son travail.
Atlanta, USA
De fait, la manière dont la FDA a géré le dossier de l’aspartame est pour le moins troublante. J’ai pu consulter les archives internes de l’agence grâce à la ténacité de Betty Martini qui a créé un centre de documentation sur l’aspartame baptisé Mission Possible International. Elle y accumule les pièces à conviction obtenues grâce au Freedom Information Act, une procédure américaine qui permet à tout citoyen d’avoir accès aux documents de l’administration.
J’ai ainsi découvert qu’alerté par John Olney, la FDA avait créé deux enquêtes internes pour évaluer la validité des données fournies par Searle. Finalement, an août 1977, le docteur Jérôme Bressler avait rédigé un rapport très sévère om il dénonçait toutes les irrégularités constatées dans les études de la firme.
En voici un extrait :
Observation records indicated that animal A23LM was alive at week 88, dead from week 92 through week 104, alive at week 108, and dead at week 112.
Les comptes-rendus des observations indiquent que l’animal A23LM était vivant à la semaine 88, mort de la semaine 92 à la semaine 104, vivant à la semaine 108, et mort à la semaine 112.
Puis la FDA institue une commission d’enquête publique qui rend son rapport [Docket N°.75F-0355] le 30 septembre 1980.
the Board concludes that approval of aspartame for use un foods should be withheld at least until the question concerning its possible oncogenic potential has been resolved by further experiments.]
La Commission conclu que l’utilisation de l’aspartame dans les aliments ne doit pas être autorisé tant que la question de son éventuel potentiel cancérigène n’a pas été résolue par de nouvelles études.
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(visible ici)
Cette fois-ci, les intervenants sont Ana Soto et Carlos Sonnenschein, deux chercheurs en biologie cellulaire à l’Université Tufts à Boston.
Transcription
Boston, USA
On a longtemps considéré que les plastiques étaient des matières biologiquement inactives. Ce n’est malheuresuement pas le cas. C’est ce qu’ont découvert fortuitement Ana Soto et Carlos Sonnenschein, deux chercheurs en biologie cellulaire à l’Université de Boston.
En 1987, ils travaillaient sur des cellules de cancer du sein. L’expérience consistait à provoquer la multiplication des cellules en les exposant à de l’œstrogène, une hormone féminine naturelle. Les cellules de l’expérience comme celles du groupe contrôle étaient conservées dans des tubes en plastique.
Pr Ana Soto – Noous répétions sans cesse la même expérience et obtenions toujours les mêmes résultats. En l’absence d’oestrogènes, les cellules de cancer du sein ne se multipliaient pas. Mais en présence d’œstrogènes, elles se multipliaient. Puis, tout à coup, toutes les cellules se sont mises à se multiplier de manière indiscriminée. Nous avions pensé que nous avions une contamination par l’œstrogène et nous avons commencé à vérifier chaque composante du processus. Finalement, nous avons compris que l’activité provenait des tubes dans lesquels nous conservions les cultures tissulaires. Nous avons donc appelé le fabriquant des tubes qui n’a pas pu nous fournir d’explication. Il nous a envoyé plusieurs lots pour que nous puissions détecter la présence de l’œstrogène qui en fait était dû à un changement dans la formulation du plastique.
Pr Carlos Sonnenschein – Le fabriquant considérait que c’était un secret commercial. C’est pourquoi il a refusé de nous révéler la composition. C’est donc grâce à notre recherche indépendante que nous avons pu identifier que la substance était du nonylphenol.
Le nonylphénol, comme le Bisphénol A, sont des hormones de synthèse utilisées comme anti-oxydant dans les matières plastiques. Après leur découverte, les deux chercheurs décident de se consacrer au BPA en raison de son utilisation massive dans les plastiques alimentaires. Leur originalité, c’est d’exposer les cobayes pendant la gestation pour pouvoir observer les effets sur la seconde génération.
Pr Ana Soto – Voici la glande mammaire d’une souris de quatre mois. On peut voir les conduits qui plus tard draineront le lait. Ils ne sont pas très nombreux et ils font peu de ramifications. Maintenant, je vais vous montrer un animal qui a été exposé au Bisphénol A in-utero. On peut voir la complexité des conduits et de leurs ramifications. C’est quatre mois après l’exposition. Ce sera une situation normale si la souris était enceinte, mais ce n’est pas le cas. À cet âge, un animal normal devrait être comme ceci. Donc, il y a une différence importante. La grossesse n’est ps une pathologie si la femelle est enceinte, mais si la glande mammaire d’une femelle qui n’est pas enceinte imite la grossesse, alors ce n’est pas normal.
MM Robin – Quelle est la dose de Bisphénol A que vous avez administrée
Pr Ana Soto – 250 ng par kilo. C’est une dose très basse.
MM Robin – Une dose 200 fois inférieures à la DJA.
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Transcription
Orisha, Inde
Petit à petit, j’ai fini par rassembler toutes les pièces du puzzle pour dessiner un ensemble cohérent. L’épidémie de maladies chroniques constatée dans le monde occidental est due à la pollution chimique et notamment aux transformations du mode de production des aliments om les effets de la révolution agricole et agroalimentaires se cojuguent pour constituer un cocktail explosif.
Si les pays du sud sont pour l’heure épargnés, c’est qu’ils n’ont pas encore adopté massivement notre mode de vie et d’alimentation.
Un exemple, l’Inde. D’après le CIRC, l’incidence des vingt cancers les plus courants en occident y est dix à trentre fois inférieure. Dans l’État de l’Orisha au sud-est du pays, les cancers sont quasiment inexistants, à l’exception de celui de la bouche, dû à la mastication du tabac.
Dans cette région très rurale, on ignore la pollution chimique et l’on mange ce que l’on produit à savoir essentiellement des fruits et légumes cultivés sans pesticides.
On consomme aussi quotidiennement du curcuma, cette poudre jaune qui constitue la base du curry. Connus depuis la nuit des temps, ses pouvoirs anti-inflammatoires, et donc anti-cancérigènes, ont été confirmés dans plus de 3000 publications scientifiques.
MM Robin – Qu’est-ce qu’on peut faire avec le curcuma ?
Le chef du village – Vous faites un curry, et vous le manger. Ou vous l’appliquez sur le corps. Tout est bon. Après avoir bien écrasé le curcuma, vous pouvez le mélanger dans un verre d’eau chaque matin. Et une dizaine de microbes vont mourir. Et vous n’aurez pas d’irritation de la peau, ni la varicelle. Il y a beaucoup de bienfaits pour toutes les maladies. Les vaches peuvent le manger. Les hommes peuvent le manger. Les chèvres peuvent le manger. Les chats peuvent le manger.
MM Robin – Est-ce qu’il y a des personnes obèses dans votre village ?
Le chef du village – Dans tout le village, c’est mon neveu qui est le plus gros. Où est-il ? C’est lui le plus gros du village.
MM Robin – Mais il n’est pas obèse.
Le chef du village – Là-bas, il y a encore une personne un peu enveloppée.
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Signalons d'abord un glossaire présent sur le site du film.
Récapitulons ensuite tous les sigles mentionnés ici.
- Le JMPR, cela signifie the Joint FAO/WHO Meeting on Pesticide Residues.
En français, c’est la Réunion Conjointe FAO/OMS sur les Résidus de Pesticides.
Cette réunion a lieu chaque année depuis 1963. - Dans le documentaire, il sera souvent question de l’OMS, l’Organsiation Mondiale de la Santé, appelée WHO (World Health Organization) en anglais.
Fondée en 1948, son siège est situé à Genève, en Suisse. - La FAO, c’est la Food & Agriculture Organization. En français, on peut dire aussi l’ONUAA.
Fondée en 1945, elle est basée à Rome, Italie. - La FDA, c'est laFood & Drug Administration.
Ses origines remontent à 1906. Son siège est actuellement à Silverspring, Maryland. - le CIRC, c'est le Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC en anglais).
Créé en 1965, son siège est situé à Lyon (69). - Enfin, la DJA, c'est la Dose Journalière Admissible. Quantité déterminée en 1961, le documentaire la remet en cause concernant les produits dont certains scientifiques pensent que la toxicité ne dépend pas de la quantité.