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12 janvier 2018

Olga Kešeljević-Barbezat - 3 Souvenirs de Jacques François (2)

En 1992, Jacques François (1920-2003) fit paraître une autobiographie, ou plutôt un recueil de rencontres, de souvenirs et de réflexions sur son métier. Comme à notre habitude sur ce blog, nous en avons retenu les trois passages liés à l'ex-Yougoslavie.

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 Jacques François est connu du grand public pour ses nombreux seconds rôles dans la série des Gendarmes avec Louis de Funès, les films de Jean Yanne et ceux de Jean-Marie Poiré, souvent dans un même emploi. Néanmoins, il considérait le théâtre comme son vrai métier.

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Les deux passages suivant sont extraits du 3ème chapitre. Ils se situent au moment où le jeune Jacques François décide de suivre des cours de théâtre auprès de Raymond Rouleau et Jean-Louis Barrault. Nous sommes au début des années 40, Paris est occupée par les Allemands.

Ces deux passages mettent en scène Olga Kešeljević (1913-2015 d'après ce site), qu'il ne faut pas confondre, comme cela est arrivé, avec Olga Kosakiewicz (1915-1983).

Dans ce premier extrait, elle n'apparaît que vers la fin de l'anecdote dont elle est le témoin.

 

  Je me présentai rue Daunou durant le cours de Raymond Rouleau. Que voulais-je ? s'enquit son assistant. Je m'expliquai. Il me suggéra de travailler une scène classique et de revenir la présenter huit jours plus tard au « patron », qui jugerait alors de mon aptitude à devenir son élève.

  J'avais assisté à une représentation des Caprices de Marianne [Alfred de Musset, 1833] au théâtre Montparnasse. Le rôle d'Octave paraissait me convenir. Je m'y attelai, ainsi, il est important de le souligner, qu'au rôle de Marianne et revins la semaine suivante rue Daunou, paralysé par le trac dont je devais faire, par la suite, plus ample connaissance.

  Devant une petite salle d'élèves ironiques et bien décidés à emboîter le nouveau venu, je m'élançai sur le « vas-y » de Rouleau dans la scène des Caprices... mais en jouant les deux rôles, celui de Marianne et ce lui d'Octave... Un instant stupéfaits et silencieux, mes jeunes spectateurs en firent beaucoup dans le fou rire et les cris d'oiseaux. Je m'arrêtai, pantois, et j'entendis Raymond Rouleau [1904-1981] leur dire :

  - Bande de petits crétins, s'il n'y en a qu'un qui s'en sorte parmi vous tous ce sera peut-être lui !

  C'était un peu excessif mais fort encourageant ! Ai-je besoin de décrire mon étonnement, puis mon mépris pour ces malheureux ? Le calme revenu et le cours fini, j'allai retrouver Rouleau pour le prier de me confirmer ce qu'il venait de dire. Il le fit avec un sérieux et une autorité qui ne me firent plus douter un instant que j'avais toujours eu raison de vouloir être acteur. J'avais des ailes ! Ma vraie vie commençait.

  J'allais quitter le théâtre lorsqu'une élève très brune me rejoignit et me dit, avec un fort accent slave :

  - Vous irrrez trrrrès loin !

  Elle s'appelait Olga, devint très vite une merveilleuse amie, elle l'est toujours.

  (…).

  L'Olga de ma première audition m'avoua un jour que, coupée de son pays, la Yougoslavie, par la guerre, elle se trouvait complètement démunie et qu'on venait de lui reprendre un studio que des amis lui avaient prêté, pour le rendre au peintre Touchagues [1893-1974] qui l'habitait généralement. Je lui proposai de partager mon appartement et nous y vécûmes longtemps en ami.

 

C'est vers cette époque que Olga Kešeljević avait été pressentie pour jouer le rôle d'Inès dans Huis-clos, la célèbre pièce de Jean-Paul Sartre, alors intitulée Les Autres. Il n'y aura pas eu de suite.

Nous n'avons pas encore trouvé de portraits photographiques d'Olga Kešeljević. En revanche, on a découvert dans ce catalogue deux portraits vraisemblablement peints avant son départ pour Paris, l'un par Ivan Tabaković et l'autre par Bora Baruh.

 

Bora Brauh Olga Keseljevic

  

Ivan Tabakovic Olga Keseljevic

 

Les deux théâtres mentionnés (Montparnasse et Daunou), existent toujours.

 

CLIC !

 

Le premier se situe rive gauche, dans le 14ème et le second, rive droite dans le 2ème.

 

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Ce deuxième passage contient un des nombreux aveux de Jacques François quant à son égocentrisme et son, disons, désintérêt de l'actualité (l'occupation), au contraire, comme on le verra, d'Olga Kešeljević. On évoque aussi quelques personnalités lyonnaises (l'éditeur Marc Barbezat, fondateur de la revue l'Arbalète, les Tavernier, père et fils...).

 

  Les vacances d'été à Saint-Tropez ou ailleurs étant devenues impensables [ndlr: du fait de la guerre], j'étais naturellement membre du Racing Club de France où je bronzais en juillet et août. Tout ceci, hélas pour ma sensibilité et mon tact, me paraissait tout à fait normal ! La charmante Olga, dont j'ai parlé, tâtait discrètement de la Résistance, portant, je crois, ou recevant des lettres ou des manuscrits de pièces ou de romans venant de la zone libre. Si j'ai bonne mémoire, beaucoup de ce courrier était envoyé par un M. [René] Tavernier [1915-1989], le père du futur réalisateur de films Bertrand Tavernier [né en 1941]. Un jour, commencèrent à déferler place de la Porte-d'Auteuil des tombereaux de fleurs et Olga se fit plus rare que d'habitude. Elle s'épanouissait de jour en jour alors qu'elle était auparavant assez soucieuse, et, par la force des choses, peu coquette. Mon étonnement et ma curiosité augmentant, je l'interrogeai ! Que se passait-il dans sa vie ? Passait simplement un petit pharmacien lyonnais assez sympathique ! Elle ajouta, en baissant les yeux :

  - Il est un peu, je crrrois, amourrreux de moi.

  Je lui demandai de nous présenter et je rencontrai, lors de sa venue à Paris, un jeune homme fort intelligent, séduisant et très cultivé, fils du fondateur des entreprises Gifrer et Barbezat, affaire de produits pharmaceutiques installée à Décines, près de Lyon. Au-dessus de ces contingences, notre Olga n'était en rien touchée par ce dernier atout. Un soir elle m'annonça que Marc lui proposait de l'épouser mais qu'il n'en était malheureusement pas question, sa carrière théâtrale passant avant tout. Son avenir professionnel était à Paris. Avec une brutalité navrante, je lui expliquai que, malgré ses immenses et réelles qualités de tragédienne, rien ne prouvait qu'on aurait très vite besoin d'une Bérénice à accent monténégrin et douée d'un physique qui la plaçait dans une élite alors dominée par Maria Casarès [1922-1996]. Je lui suggérai d'épouser au plus tôt le charmant Marc, ce qu'elle fit, en me demandant d'être son témoin. Depuis 1944 ces deux êtres exceptionnels et exquis vivent les yeux dans les yeux.

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Faute de portrait d'Olga Kešeljević, en voici un de l'impressionnante Maria Casarès.

  Marc avait un violon d'Ingres : l'édition. Il avait fondé une revue littéraire, L'Arbalète, dont le titre de gloire était d'avoir publié de nombreux écrivains alors peu connus ou inconnus : Genet, Queneau, Dubillard et tant d'autres. L'activité de la revue ne suffisant pas, L'Arbalète se mua en maison d'édition. Je possède un tirage de Querelle de Brest de Genet, réalisé sur presse à bras, que Barbezat m'avait donné. Marc était et est resté un éditeur passionné, un véritable amoureux de la littérature.

Querelle_of_Brest s-l1600

  Jean-François Lefebvre-Pontalis, un ami, m'avait confié le manuscrit du Condamné à mort. C'est moi qui le transmis à Marc Barbezat qui devint ainsi le premier éditeur des œuvres de Genet.

 

Selon ce document, Olga Kešeljević et Marc Barbezat (1913-1999) se sont mariés le 20 décembre 1943 à la mairie du 16ème arrondissement de Paris.

Ce texte de Marc Barbezat confirme le rôle joué par Jacques François dans la transmission du poème de Jean Genet

  En 1988, un recueil inédit de lettres envoyées par Jean Genet à Marc et Olga Barbezat fût publié par Gallimard. On y découvre l'intense relation qui reliait l'auteur et l'éditeur tout au long des années '40. Le livre comporte en fin de volume un texte de Marc Barbezat intitulé Comment je suis devenu l'éditeur de Jean Genet. Extrait:

  "En juin 1943, Jean Genet était arrêté en flagrant délit de vol d'un livre de luxe de Verlaine, illustré, à la librairie Stock du Palais Royal... Il purgeait sa peine à la Prison de la Santé... A l'automne de l'année 1943, je reçus à Lyon, postée de Paris, une lettre de ma fiancée, Olga Kechelievitch qui avait recopié de sa belle écriture le poème de Jean Genet: Le Condamné à mort. L'original lui avait été prêté par son ami, le comédien Jacques François, à l'époque comme elle, élève du cours de théâtre Charles Dullin... Je lui écrivis. En réponse me parvint une carte assez brève, que j'ai égarée où, je m'en souviens, Genet écrivait : "Envoyez 100 francs"...

Publié sur le site de La République des lettres.

 

On voit qu'il ne mentionne pas celui de Jean-François Lefebvre-Pontalis (1920? - 1992?), frère de Jean-Bertrand Pontalis.

 

Marc Barbezat et Jean Genet à Lyon vers 1948.

Photo trouvée sur ce site consacré à Robert Denoël. où l'on peut lire ceci à la date du 25 décembre 1943 :

  Lors du procès intenté par Genet à Marc Barbezat en 1978, on apprendra que l'écrivain avait obtenu rue Amélie des droits bien supérieurs à ceux proposés ensuite par Barbezat : « Le contrat de 1944 avec Denoël m’accordait 15%. J’ai signé quelques mois après le même contrat avec M. Barbezat pour 12%. Il est donc bien clair qu’une pression a été faite sur moi. Pourquoi aurais-je abandonné spontanément 3% à M. Barbezat ? Je sortais de prison, je devais y retourner, je n’avais pas d’argent et je me croyais fort du contrat Denoël à 15%. En fait, j’étais très faible, affaibli par la prison. [...] Que M. Barbezat m’ait découvert comme écrivain, c’est faux. Cocteau a invité Robert Denoël à lire le manuscrit de Notre-Dame des Fleurs. [...] Pendant 30 ans Barbezat a utilisé les 3% de différence. Il a acheté des maisons quand je n’étais pas même sûr de pouvoir me payer une chambre pour la nuit. » [lettre à Me Roland Dumas, 5 février 1978, mise en vente à l'Hôtel Drouot le 12 décembre 2016]. 

Publié sur Robert Denoël éditeur, un site d'Henri Thyssens

 

9782070751587FS

 

 

Malgré les relations tendues entre l'auteur et l'éditeur, on peut lire dans cette nécrologie de Marc Barbezat paru dans Libération :

  Jean Genet ne s'est jamais brouillé avec Olga Barbezat. Avec son mari, les relations était plus orageuses, du genre: « Vous vous obstinez, malgré moi, à imposer vos imparfaits du subjonctif ! Ecrivez des pièces si vous vous voulez, mais ne salopez pas les miennes. J'écris comme je veux. » Il avait dédicacé l'exemplaire du Condamné à mort « A mon ami qui sera mon seul éditeur parce qu'il est jeune. » Ce n'est pas contradictoire.

Claire Devarrieux, — 3 mai 1999

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