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Les Caves du Majestic
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25 mai 2013

Tout un monde lointain... - Henri Dutilleux (compositeur), Mstislav Rostropovitch (interprète) (1970)

Henri Dutilleux (1916-2013), l'un des compositeurs français les plus importants du XXème siècle, est mort le 22 mai.

henri dutilleux
Henri Dutilleux

Nos compétences extrêmenent limitées en matière de musique contemporaine nous interdisent de trop en dire sur son œuvre. Cela ne nous empêche pas d’aller fouiller et d’écouter.

rostropovitch
Mstislav Rostropovitch

Nous avons trouvé Tout un monde lointain… (1970). C’est un concerto pour violoncelle inspiré (sans pour autant les illustrer) de poèmes de Charles Baudelaire (1821-1867). C’était en fait une commande de Mstislav Rostropovitch (1927-2007). Les cinq mouvements qui composent ce concerto correspondent à cinq poèmes extraits des Fleurs du Mal (1857-1861). Il semble que c'est avec cette œuvre que le compositeur s'est fait connaître.

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Dutilleux - Rostropovitch - Lutosławski

Dans cette note chaque mouvement sera suivi du poème correspondant. Nous avons souligné les vers qui, selon nos sources, ont particulièrement inspiré ces mouvements.

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Énigme (Très libre et flexible)


Mise en ligne le 18 août 2008 par John11inch

Poème XXVII

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

Comme le sable morne et l'azur des déserts,
Insensibles tous deux à l'humaine souffrance,
Comme les longs réseaux de la houle des mers,
Elle se développe avec indifférence.

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,


Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.

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Regard (Extrêmement calme)


Mise en ligne le 18 août 2008 par John11inch

Le Poison

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers
...

Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remords,
Et charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort!

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Houles (Large et ample)


Mise en ligne le 18 août 2008 par John11inch 

La chevelure

Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir

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Miroirs (Lent et extatique)


Mise en ligne le 18 août 2008 par John11inch  

 La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes

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Hymne (Allegro)


Mise en ligne le 18 août 2008 par John11inch   

La voix

Mon berceau s'adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J'était haut comme un in-folio.
Deux voix me parlaient. L'une, insidieuse et ferme,
Disait: «La Terre est un gâteau plein de douceur;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme!)
Te faire un appétit d'une égale grosseur.»
Et l'autre: «Viens! oh! viens voyager dans les rêves,
Au delà du possible, au delà du connu!»
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d'où venu,
Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie.
Je te répondis: «Oui! douce voix!» C'est d'alors
Que date ce qu'on peut, hélas! nommer ma plaie
Et ma fatalité. Derrière les décors
De l'existence immense, au plus noir de l'abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
Et c'est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,
J'aime si tendrement le désert et la mer;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un goût suave au vin le plus amer;
Que je prends très souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la voix me console et dit: « Garde tes songes:
Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous ! »

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Signalons enfin la rediffusion audible j'usqu'au 9 décembre 2013 d'une analyse du concerto par Frédéric Lodéon (diffusée en 1977) dans le cadre de la journée hommage à Henri Dutilleux diffusée sur France Musique le 23 mai dernier. Cette analysé a été rediffusée dans Le Matin des musiciens, jeudi, émission présentée par Renaud Machart.

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  • Un peu de culture francophone (surtout française). Rien n’est incompréhensible pour des étudiants curieux, même si « on ne l’a ni lu, ni vu, tant qu’on en a entendu parler » (Cavanna). Bonne visite ! Des lecteurs en Serbie
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