(10b) 'Capitale de la douleur' de Paul Éluard dans Alphaville (1965)
Par le biais du morceau de Laibach nous venons d'évoquer le rôle joué par Capitale de la Douleur (1946) de Paul Éluard (1895-1952) dans Alphaville (1965) de Jean-Luc Godard (né en 1930).
Image trouvée ici.
Dans son mémoire déjà cité hier (Jean-Luc Godard, cinéaste-écrivain, De la citation à la création, présence et rôle de la littérature dans le cinéma de Jean-Luc Godard de 1959 à 1967), Julien d’Abrigeon (poète et écrivain né en 1973) écrit ceci :
Le texte lu a aussi un rôle dramatique dans Alphaville. Le recueil d'Éluard, Capitale de la douleur, est la véritable arme de Lemmy Caution. Tel Prométhée apportant le feu aux hommes, Caution arrive dans Alphaville avec la poésie que symbolise cet ouvrage par synecdoque. Des vers ou des titres sont lus par le détective à Natacha pour la faire réagir, lui rappeler que la poésie existe :
"Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses (...)
Mais cet écho qui roule tout le long du jour
Cet écho hors du temps d'angoisse ou de caresses (...)
Sommes-nous près ou loin de notre conscience (...)"
[Ces quatre vers sont extraits de Notre mouvement
(in Le dur désir de durer, 1946)]
"La mort dans la conversation"
[Ce vers est extrait de La mort dans la conversation
(Répétitions, 1922 in Capitale de la douleur)]
"Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire
où nul n’a jamais su ce que c’est qu’un regard"
[Ces deux vers sont extraits de L'Egalité des sexes
(Mourir de ne pas mourir, 1924 in Capitale de la douleur)]
"Mourir de ne pas mourir"
"Pour se prendre au piège"
[Ces deux titres de poème viennent de Mourir de ne pas mourir, 1924 in Capitale de la douleur]
Ce mémoire offre une analyse très consistante. Par bonheur, il est lisible sur ce site et sur celui-là.
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L’une des scènes clés du film est la lecture d’un extrait de ce livre par Natacha Von Braun (Anna Karina).
Elle semble lire le recueil tel qu’il a été publié dans la collection dite Blanche chez Gallimard.
Mise en ligne le 14 avril 2008 par jikrisbet
Ta voix tes yeux tes mains tes lèvres
Nos silences nos paroles
La lumière qui s'en va la lumière qui revient
Un seul sourire pour nous deux
Par besoin de savoir j'ai vu la nuit créer le jour sans que nous changions d'apparence
Ô bien aimée de tous et bien aimée d'un seul en silence ta bouche a promis d'être heureuse.
De loin en loin dit la haine de proche en proche dit l'amour
Par la caresse nous sortons de notre enfance
Je vois de mieux en mieux la forme humaine
Comme un dialogue d'amoureux le coeur n'a qu'une seule bouche
Toutes les choses au hasard tous les mots dits sans y penser
Les sentiments à la dérive
Les hommes tournent dans la ville
Le regard la parole et le fait que je t'aime tout est en mouvement
Il suffit d'avancer pour vivre d'aller droit devant soi vers tous ceux que l'on aime
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière
Si tu souris c'est pour mieux m'envahir
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Il s’agit effectivement d’un collage de vers de Paul Éluard mais ils sont issus d’autres recueils.
On les trouve dans :
- Le dur désir de durer, 1946
- Corps mémorable, 1948
- Le phénix, 1951
Ils figurent également dans une anthologie éditée par Pierre Seghers et intitulée Derniers poèmes d’amour. Elle reprend les poèmes d’amours de Paul Éluard provenant de ces trois recueils ainsi que de Le Temps déborde (1947).
Le poème est très souvent repris sur la toile, parfois présenté comme un texte d'Éluard, parfois présenté comme un collage de vers extraits de Capitale de la douleur. Nous nous sommes donc amusé à retrouver l'origine de ces vers grâce à quelques sites et moteurs de recherches et notamment à ce site canadien, Canada où une grande partie de l’œuvre du poète est dans le domaine public.
Pour chaque vers, nous nous sommes contenté d’indiquer le titre du poème et l’année du parution qui permet de renvoyer au recueil concerné.
Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres.
Nos silences, nos paroles.
La lumière qui s'en va
La lumière qui revient.
Ordre et désordre de l’amour, 1946
Un seul sourire pour nous deux.
Par besoin de savoir
J'ai vu la nuit créer le jour
Sans que nous changions d'apparence.
Un seul sourire, 1946
Ô bien aimée de tous, bien aimée d'un seul,
En silence ta bouche a promis d'être heureuse.
Belle, 1946
De loin en loin dit la haine
De proche en proche dit l'amour.
Dit de l’amour, 1946
Par la caresse nous sortons de notre enfance.
Écrire Dessiner Inscrire, VII, 1951
Je vois de mieux en mieux la forme humaine,
Du fond de l’abîme, VI, 1946
Comme un dialogue d'amoureux.
Le coeur n'a qu'une seule bouche.
Jeunesse engendre la jeunesse, 1947-1948
Toutes les choses au hasard
Tous les mots dits sans y penser.
Les sentiments à la dérive.
Dominique aujourd’hui présente, 1951
Les hommes tournent dans la ville.
Déformation du vers d'Eluard : « Les sentiments à la dérive / Les hommes tournant dans le vent »
Écrire Dessiner Inscrire, I, 1951
Les regards, la parole
et le fait que je t'aime
tout est en mouvement.
Écrire Dessiner Inscrire, I, 1951
Il suffit d'avancer pour vivre
d'aller droit devant soi
vers tous ceux que l'on aime.
La petite enfance de Dominique, IV, 1951
J'allais vers toi, j'allais sans fin vers la lumière.
La mort, l’amour la vie, 1951
Si tu souris, c'est pour mieux m'envahir.
Certitude, 1951
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard.
La mort, l’amour la vie, 1951
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Récapitulons les titres utilisés dans le collage de Jean-Luc Godard.
Le dur désir d’exister
- Ordre et désordre de l’amour
- Belle
- Dit de l’amour
- Un seul sourire
- Du fond de l’abîme
Corps mémorable
- Jeunesse engendre la jeunesse
Le phénix
- Dominique aujourd’hui présente
- Écrire Dessiner Inscrire, I et VII
- La Petite Enfance de Dominique, IV
- Certitude
- La mort, l’amour la vie