Ceux de chez nous - Sacha Guitry (1915, 1952) - Auguste Renoir
Sacha Guitry (1885-1957), dramaturge et cinéaste, a été l’auteur d’un film documentaire présentant les aritstes de son temps.
La staticité de la caméra, le silence et la facination pour les personnalités en font un Cinématon (œuvre singulière de Gérard Courant) avant l’heure.
Comme le document précédent (tiré du livre de Jean Renoir), ce film de 1915 nous ramène dans le contexte de la première guerre mondiale. En effet, Sacha Guitry l’aurait conçu en réaction à une « proclamation des intellectuels allemands exaltant la culture germanique ». Ce qui en reste est de toute autre portée.
Voici l’extrait consacré à Pierre-Auguste Renoir.
Publiée le 4 juillet 2013 par 202 productions / Maurice Darmon
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Le film a une autre vie en 1952 remonté et commenté et co-réalisé avec Frédéric Rossif (1922-1990).
Le film figure sur le DVD ci-dessus.
Ajoutée le 9 octobre 2009 par Luc Edouard
Transcription
Je veux vous montrer à présent un film très impressionnant, je crois. C'est celui de Renoir, l'autre grand peintre de l'impressionnisme. Il m'apparut que de tous ces grands hommes, Renoir était le plus simple de tous. Et Dieu sait pourtant si tous ces grands hommes étaient simples. Simples, mais orgueilleux. Oui, cuirassés d'orgueil pour se défendre un peu contre la mufflerie, la familiarité, les ignorants et les médiocres. Juste orgueil que les sots aiment à faire passer pour de la vanité. L'admiration dont Renoir était entouré n'avait aucune modifié son caractère. Et ceux qui l'avaient connu jadis m'ont dit qu'il était le même exactement dans sa jeunesse lorsqu'il lui arrivait de vivre avec son ami Monet pendant tout une année sur un champ de pommes de terre.
Voici quelques tableaux de lui que j'ai la joie de posséder. Ce Portrait de Mallarmé...
Ce dessin... Ce nu couché....
Le Renoir que je veux vous montrer a 77 ans et il est très malade. Les rhumatismes ont déformé ses pauvres mains et bien qu'il souffre perpétuellement, il travaille sans cesse. Rien n'était plus émouvant que de voir cet homme, ce grand homme, plié en deux par la douleur, et qui était obligé pour peindre de glisser ses pinceaux sous des bandelettes de toile dont on entourait ses mains nouées comme des sarments. Et il continuait de peindre malgré tout et sa vision des choses était telle qu'elle était quand il avait vingt ans. Il n'avait aucune mélancolie et sans tristesse il voyait chaque année refleurir les anémones qui n'avaient pas de secret pour lui.
Il disait le plus simplement du monde des choses magnifiques. S'étant aperçu que des toiles de lui faites trente ans auparavant avaient un peu perdu de leur éclat, il employait depuis quelques années les tons les plus vifs de sa palette et si on lui en demandait la raison il disait : « Je travaille à présent pour l’avenir et les toiles que je fais aujourd’hui seront bien dans vingt ans. »
Voici Auguste Renoir. Là, vous les voyez, ces pauvres mains déformées par le mal. L’enfant qui se trouve auprès de lui, c’est son plus jeune fils, et c’est aujourd’hui Jean Renoir[1] [sic], le cinéaste bien connu. Et voici son portrait, d’ailleurs, quand il avait six ans. Admirable tableau de son illustre père que j’ai toujours sous les yeux. Et c’est ce gosse attentif qui pressait sur la palette les tubes de couleur dont Renoir avait besoin car il n’avait plus la force de le faire lui-même.
Chaque matin, lorsque sa cuisinière revenait du marché, Renoir lui demandait ce qu’elle avait acheté. Alors elle vidait son panier sur la table de la salle à manger. Généralement, c’était là où il travaillait et il choisissait parmi les légumes ou parmi les fruits le sujet d’une nature morte qu’il faisait immédiatement car pour lui chaque chose était un sujet de toile.
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Imaginez ce qui pouvait se passer dans la cuisine lorsque Renoir avait choisi pour modèle le superbe poisson que la cuisinière venait de rapporter pour le déjeuner. Elle venait de temps en temps le réclamer au maître qui disait « pas encore ! » car il voulait le finir avant de le manger.
Je me trouvais chez Renoir le jour il apprit qu’on venait de le nommer commandeur de la Légion d’Honneur. Je lui ai demandé si cette distinction lui faisait plaisir. Il répondit : « Oui ! Parce que ça épate les chefs de gares ! »
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Un tableau de Renoir qui atteignit le prix le plus élevé qu’on ait jamais connu. Ce tableau se trouve à la Tate Gallery à Londres. Il est intitulé la Loge. Il l’avait vendu jadis quinze cents francs, Jean Cocteau l’a payé trois millions, il en vaut aujourd’hui certainement cinquante.
Je pense que plus tard en montrant ce film à ses élèves, un professeur de peinture pourra leur prouver aisément qu’on ne peint pas avec ses mains mais bien plutôt avec ses yeux.
[1] Si ce film date d’avant avril 1915, Jean Renoir était au front.
Si ce film date d’après avril 1915, Jean Renoir, blessé, aurait été incapable de se tenir debout.
Il s’agit de Claude Renoir, alors âgé de quatorze ans. De nombreuses toiles le représentent effectivement sous le nom de Coco.
De plus, Ambroise Vollard (1866-1939) qui était présent lors de cette prise de vue, l’affirme dans En écoutant Cézanne, Degas, Renoir.